Au café du faire ensemble

Le Café des pratiques semble avoir réussi son pari, ouvrir ses portes à des gens de tout âge, de tout milieu et de toutes les cultures. Chacun peut apprendre ou enseigner des savoir-faire très variés, le tout dans une ambiance chaleureuse !

Avec sa large vitrine où s’affiche le menu, rien, de prime abord, ne différencie ce café d’un autre qui proposerait une restauration le midi. Mais une fois la porte poussée, la décoration évoque plus un atelier d’artiste qu’un troquet. Des poteries sur les étagères, des peintures qui sèchent pendues à des fils, une sorte de grand métier à tisser et un mobilier disparate accueillent ceux qui franchissent la porte du Café des pratiques, ouvert depuis maintenant cinq ans à Besançon.

Ce jour-là, quelques personnes âgées ont apporté leur ordinateur portabls pour un cours d’informatique et papotent autour d’une table, tandis qu’une petite dizaine d’enfants en tablier sont occupés à fabriquer un bonhomme en gazon dans une autre partie de la grande salle. Dans la pièce d’à côté, des gros matelas amortissent les chutes des mômes qui se jettent joyeusement dessus, au milieu de jouets en libre service.

À l’initiative de ce lieu, Élisabeth et Maki, deux jeunes femmes ayant en commun des enfants en bas âge. La première est plasticienne de formation et férue d’éducation populaire. La seconde, qui arrive du Japon où elle était enseignante de français, est mère au foyer créative (elle fabrique des vêtements pour ses enfants, des bijoux, des gâteaux…) et un peu isolée. Alors quand Élisabeth lui suggère de créer un café convivial, Maki accepte rapidement. Ensemble, elles conçoivent un lieu destiné à tous, quelque soit l’âge, le milieu et la culture, et où le « faire » est valorisé. Jardinage, bricolage, artisanat, informatique, cours de langue, lectures publiques, musique, etc., le lieu propose une quinzaine d’ateliers par semaine (plus de 700 par an), et sert des repas faits maison tous les midis. Le rapport entre ces activités ? Elles permettent à chacun d’« exercer ses puissances, selon le concept de Gilles Deleuze », et s’inscrivent dans une culture qui a «_d’abord une fonction d’émancipation et d’interrogation critique sur la représentation du monde », rappellent les créatrices du Café des pratiques sur le site Internet.

Valoriser les pratiques

Les animations sont encadrées par des professionnels ou des bénévoles, et sont le plus souvent gratuites ou comprises entre 1 et 5 €. Les intervenants bénévoles peuvent être payés en pratiques, la monnaie locale, qui permet de fidéliser la clientèle et d’offrir des avantages à ceux qui disposent de peu de moyens grâce à un taux de change avantageux. Parmi les ateliers récurrents, il y a par exemple le Caférépartout. Une fois par mois, et gratuitement, chacun peut apporter ses objets cassés et, avec une équipe de bricoleurs bénévoles, tenter de redonner vie à l’objet au lieu d’en racheter un neuf. « Aujourd’hui, les objets sont partout et peu chers. On ne prête plus attention à la matière, aux savoir-faire. On voulait valoriser ces pratiques artisanales et artistiques », explique Élisabeth. Une envie partagée par Maki, même si ses motivations sont différentes. « Je ne suis pas une militante. Mais j’aime découvrir et faire découvrir. Au Japon, on voit les gens faire, travailler. Ici, ce n’est pas aussi évident, les ateliers sont fermés, les cuisiniers cachés en cuisine. » Une première réunion d’information en juin 2010 permet de mobiliser une dizaine de bénévoles et de récolter quelques dons, l’association est créée dans la foulée. Aujourd’hui, entre 30 et 40 bénévoles s’investissent régulièrement dans le Café.

Au Café des pratiques, on y croise des mamies et des papis, des parents et des enfants, des gens du quartier ou parfois de beaucoup plus loin. Pour Jean, un retraité du quartier et habitué de l’atelier informatique du jeudi matin, ce moment est l’occasion de se perfectionner sur l’ordinateur, mais surtout, de « voir du monde, être entouré d’amis et d’enfants ». À côté, deux mamans dont les enfants jouent sur les coussins discutent autour d’un café, tandis qu’un père et sa fille ont déballé un jeu de société. À midi, les tables sont dressées pour le déjeuner par Neelo, une jeune fille en contrat aidé au Café depuis presque deux ans. En plus de faire l’accueil et le service, Neelo, comme les autres employés, encadre des animations et s’investit dans les lieux. En retour, l’expérience qu’elle a acquise avec les enfants au Café des pratiques lui a permis de valider son CAP Petite enfance.

Parmi la vingtaine de clients attablés ce midi, des travailleurs du quartier, et trois habitués du Café, militant dans des associations locales et venus manger ici pour « soutenir le lieu ».  Le  menu a été préparé par Maki, aidée de deux bénévoles, le cuisinier étant en arrêt maladie. « On souhaitait dès le départ un lieu ouvert à tous, mais je suis toujours surprise de voir à ce point-là des gens de tous horizons », indique Maki. Certains passent seulement boire un verre, d’autres sont là pour manger, participer occasionnellement ou régulièrement aux ateliers, ou encore s’investir dans un projet personnel ou collectif.

Petits et grands projets

En offrant la possibilité de faire à manger pour des clients, le lieu permet par exemple à ceux qui envisagent de devenir cuisiniers d’expérimenter le métier. Il offre aussi l’opportunité de proposer et d’animer des ateliers de son choix, permettant ainsi à ceux qui envisagent de se lancer dans l’animation, l’enseignement ou l’artisanat de tester leur idée. Depuis cinq ans, plusieurs projets collectifs sont également nés autour des tables du Café des pratiques. Des adhérents ont ainsi créé et font vivre un jardin partagé deux rues plus loin et l’idée d’un habitat participatif dans la capitale comtoise est sur les rails. Le terrain a été trouvé et le permis de construire sera bientôt déposé. Un ouvrage a aussi été édité autour des ballades urbaines faites dans le quartier, et un livre sonore est en cours de réalisation en partenariat avec l’IME (l’Institut médico-éducatif). Damien, qui a été recruté récemment, travaille également sur l’idée d’une « bricocyclerie », une ressourcerie dédiée au bricolage et aux loisirs créatifs.

A l'instar de quatre autres salariés du Café des pratiques, Damien est en contrat aidé. Il y a également une personne en CDI et une autre en service civique, car, malgré son succès, pour le Café des pratiques, « économiquement, c’est difficile », souligne Élisabeth. « Après cinq ans d’activités, on se rend compte qu'il est impossible de salarier normalement les employés ». Les aides à l’emploi et les subventions représentent quasiment 50 % du budget du Café (environ 42.000€ sur 100.000€ pour l’année 2014). Celles-ci sont variées : la région, le département, la ville, mais aussi la CAF qui finance le Café des pratiques depuis le début de l’année 2015 au titre (pléonastique) d’« Espace de vie sociale ». « On a démarré avec quelques grosses subventions, et aujourd’hui, on essaye d’en trouver des pérennes », explique Élisabeth.

Sonia

Pour aller plus loin : Site du Café des Pratiques


Cet article a initialement été publié dans le magazine Lutopik numéro 9, paru en décembre 2015. Vous pouvez commander votre numéro (4 €) ou vous abonner (15 €) sur cette page.