Les difficiles débats scientifiques

Énergie nucléaire, nanotechnologies, OGM, etc., les controverses scientifiques et technologiques suscitent des débats de société sans que les citoyens n’aient vraiment leurs mots à dire.

Difficile d’organiser sereinement des débats publics autour des grands projets et des questions scientifiques. En 2009-2010, celui consacré aux nanotechnologies est fortement perturbé par ses détracteurs, au point que des réunions sont annulées. En 2010, celui sur l’EPR de Flamanville est très critiqué. En 2013, c’est le débat public autour de l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure qui tourne court.

A chaque fois, des activistes sabotent les débats en monopolisant la parole ou en faisant du bruit depuis l’extérieur par exemple. Les prescripteurs du débat et les médias s’offusquent de ce comportement qu’ils jugent anti-démocratique, tandis que les militants dénoncent une mascarade destinée à légitimer, avec la caution d’une pseudo participation citoyenne, des choix déjà faits.

Si la Commission nationale du débat public (CNDP) proclame que les débats publics sont censés être « organisés en amont de toutes les prises de décisions majeures », dans les faits, la consultation intervient en effet souvent après que les décisions sont prises ou que les technologies ont déjà été développées. Ainsi, le débat public sur les nanotechnologies portait-il sur « les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies », celui sur l’EPR avait lieu après la décision de sa construction tandis que celui sur le centre d’enfouissement des déchets nucléaires visait principalement à discuter de la réversibilité du stockage, sans remettre en question son intérêt ni questionner les alternatives possibles. De plus, le fait qu’il n’y ait aucune obligation de tenir compte des avis recueillis renforce le sentiment d’inutilité de ces débats.

Christian Leyrit, le président de la CNDP, est bien conscient des limites de ces procédures. « On voit le mal-être des gens. Les Français ne croient plus en rien, car ils ont l’impression que tout est décidé d’avance. On a besoin d’un choc démocratique », estime-t-il. Pour rénover ces débats, gagner du temps sur la mise en œuvre de certains projets et rétablir la confiance, la CNDP a fait plusieurs propositions dans le cadre de la « modernisation du dialogue environnemental », lancée en juin par le ministère de l’Écologie suite à la mort de Rémi Fraisse à Sivens. Christian Leyrit évoque notamment le fait « que 500.000 citoyens ou un nombre conséquent de parlementaires puissent demander l’organisation d’un débat public sur des grands programmes ou orientations comme les OGM ou le gaz de schiste par exemple ». Pour l’heure, il n’y a aucune obligation de débat public sur des sujets aussi importants. La CNDP souhaite aussi favoriser les contre-expertises indépendantes et développer les conférences de citoyens, une autre voie pour recueillir des avis sur un sujet controversé « sans pour autant qu’ils ne remplacent les débats publics », précise le président de la CNDP. Il s’agit de réunir sur plusieurs séances une quinzaine de personnes sélectionnées par tirage au sort, de les informer de façon contradictoire et de leur permettre de débattre en interrogeant si besoin les personnes qu’elles souhaitent.

 

Les conventions de citoyens

Cette procédure a été expérimentée à plusieurs reprises, et notamment en 2014 sur le projet d’enfouissement des déchets nucléaires. Le panel de 17 citoyens ne s’est pas opposé à l’enfouissement profond, mais a estimé que des études complémentaires et la recherche d’alternatives étaient nécessaires. Il s’est également interrogé sur les mesures de sécurité du projet. Des conclusions qui, selon Christian Leyrit, « montrent que l’on peut obtenir un avis riche et utile lorsqu’on prend le temps d’informer les gens de façon contradictoire. Cela a surpris beaucoup de monde. L’idée qu’il y a des choses trop compliquées pour les citoyens doit être combattue ».

Les conférences de citoyens sont beaucoup plus utilisées en Europe du Nord que chez nous. La Fondation Sciences Citoyennes (FSC), une association créée en 2002 avec pour objectif de « favoriser et prolonger le mouvement actuel d’appropriation citoyenne et démocratique de la science, afin de la mettre au service du bien commun », a choisi d'aller plus loin en proposant une loi bornant les procédures de ce type. Renommées « conventions de citoyens » et renforcées par une charte très stricte (tirage au sort des citoyens participants qui ne seraient pas rémunérés, encadrement indépendant, obligation pour les parlementaires de tenir compte de l’avis émis…), elles permettraient, selon la FSC, de faire émerger des « solutions en rapport direct avec les besoins de la société, mais souvent ignorées par les spécialistes et rarement entendues des instances politiques. »

Mais ces propositions pour améliorer le débat, notamment sur les grandes controverses scientifiques, ne sont pour l’instant pas traduites dans la législation. La FSC ne parvient pas à faire examiner une proposition de loi sur ces conventions de citoyens, et le projet de réforme du « dialogue environnemental » semble mal parti. « Le rapport de la commission Dialogue environnemental évoque la possibilité de mener les consultations et les concertations un peu plus en amont des projets, mais c’est un changement à la marge. Il part du principe qu’il ne faut surtout pas ralentir l’avancement des projets. Sans délai, il ne peut y avoir aucun espace pour l’échange », dénonce Cyril Fiorini, de la FSC. De plus, alors qu’elle aurait dû être traduite dans un texte de loi, la réforme passera par des ordonnances, une procédure bien éloignée de la démocratie participative qu’elle entend défendre. Les ordonnances devraient être publiées en 2016. Pour l’heure, personne ne sait quelles propositions seront retenues.

Texte : Sonia - Dessin : Lilie Lestrat


Cet article est tiré du dossier "Sciences, un enjeu de société", paru dans le numéro 9. Vous pouvez commander votre numéro (4 €) ou vous abonner (15 €) sur cette page.