Les forains, des voyageurs attendus

forains.jpgDe fête en fête, les forains sillonnent les routes en semi-remorques, tractant caravanes, manèges et boutiques. Il y aurait environ 35.000 entreprises foraines en France, ce qui représente autant de familles et quelque 150.000 personnes. A l’inverse de nombreux Voyageurs, leur arrivée est presque toujours la bienvenue.

À Grenoble, la Foire des rameaux est déjà installée depuis trois semaines sur l’Esplanade. Cet après-midi, juste avant l’ouverture, les allées sont presque vides. Il n’y a pas encore de visiteurs sur la fête. Les forains présents sont tous affairés, ils préparent, nettoient ou bricolent. Ceux qui n’ont pas encore relevé les portes latérales des camions le font, laissant apparaitre des stands de confiseries ou de nourriture chaude, de machines à pinces et autres jeux de hasard.

Le « village des caravanes », où vivent les forains, est juste à côté, en marge des festivités, entre la ligne de tram et la route. Un homme est en train de nettoyer les alentours de la place qu’il occupera pendant un mois. Gérard Fenouillet est forain depuis 62 ans. Il est aujourd’hui en retraite, mais toujours en tournée. Il passe le relais. Petit à petit, son « métier », une attraction en langage forain, devient l’affaire de son fils. « C’est un tiercé, Ali-Baba, il est reconnu à Grenoble et partout où je passe ! ».

Sauf quelques exceptions, on ne devient pas forain. On naît forain. Les enfants commencent à travailler tôt, ramassage des tickets, nettoyage. Ils peuvent gérer très jeunes leur premier stand, de barbe à papa par exemple, sous le regard de leurs parents. Le monde forain fonctionne en relatif vase clos, difficile d’y entrer ou d’y sortir. « Quelques sédentaires sont devenus forains par le mariage et quelques forains qui n’avaient plus l’envie de bouger de ville en ville et qui préféraient le train-train quotidien sont devenus sédentaires. Moi, c’est quelque chose qui me passionne de bouger, de me renouveler », livre Henrik Starck, qui fait tourner les montagnes russes de la place.

Né dans une caravane

Gérard Fenouillet ne déroge pas à la règle. « Je suis né dans une caravane, comme mon père et mon grand-père, forains eux aussi », mais son histoire est singulière. Son père venait d’une famille gitane tandis que sa mère est née dans un château. « Ma grand-mère était baronne, elle avait la particule, et mon grand-père était général ». Pendant la Deuxième Guerre mondiale, son père, mobilisé comme tankiste, s’est trouvé en difficulté. « Le général est venu secourir les chars et ma mère était dans le château. Mes parents ont vécu deux ans à Lyon, sans être forains. Suite à la perte d’un de leurs enfants, ils sont devenus dépressifs et ma mère a voulu essayer la vie foraine. Ce monde lui a tant plu qu’elle a voulu mourir dans une caravane pour l’amour d’un forain ! ».

Les artisans forains se déplacent au rythme des fêtes et des foires. Quelques semaines dans une ville, installation, montage et démontage des attractions, puis départ pour la prochaine étape. Presque tous les forains ont un pied-à-terre, dans lequel ils retournent en hiver. Ce qu’ils appellent terrain peut tout aussi bien correspondre à une maison ou un hangar. « On en profite pour réparer, faire l’entretien, réviser l’électronique des métiers, préparer les contrôles techniques des véhicules... » Mais pas question de trop s’y attacher pour Henrik. « On fait la cuisine et on mange dans la maison, mais on dort dans les camions. Il n’y a que les invités qui dorment dedans, ou nous quand on fait des travaux dans la caravane. On n’est pas des sédentaires, on aime notre vie telle qu’elle est », témoigne-t-il.

forains2.jpgApporter la joie

Leur travail est rémunéré en fonction du nombre de tickets vendus et une fête ratée peut avoir de lourdes conséquences. Chaque départ coûte de l’argent, Henrik utilise par exemple quatre camions et une voiture pour transporter ses montagnes russes et sa caravane. Aux frais d’essence et d’autoroute, il faut ajouter le prix demandé par la municipalité pour le stationnement. Michel Rabbat, qui organise la Foire des rameaux depuis plus de trente ans, liste ses dépenses fixes pour quatre semaines à Grenoble pour son circuit de petite Formule 1. « L’emplacement est à 1.900 €, plus l’électricité et l’eau, ça fait 4.200 € de frais. En comptant les frais de route, il faut que je sorte 5.500 € avant de faire mes premiers bénéfices ».

Certains forains gagnent très bien leur vie, mais les conditions se dégradent. On se plaint des charges et des taxes qui augmentent et des rentrées d’argent qui ne suivent plus. On sent aussi poindre le discours que les Français travailleurs seraient moins bien lotis que les étrangers touchant des allocations. Plusieurs forains rencontrés me font aussi spontanément part de la différenciation qu’ils font entre eux et les Gens du Voyage, bien que certains aient des origines tsiganes. L’un d’eux me dira : « Nous sommes commerçants, industriels forains, eux vivent du vol. On est à part, il ne faut pas confondre. On ne veut pas se mélanger ».

En ne s’attardant pas trop sur ces déplorables clichés, il existe bien une différence. Le déplacement est beaucoup plus facile pour les forains que pour les autres Voyageurs, car ils ne sont pas perçus comme « indésirables » par les pouvoirs publics. « On vient donner de l’étonnement, de la joie, on vend du plaisir aux gens ». Toutes les dates des fêtes sont connues à l’avance, les municipalités ont du temps pour organiser le bon déroulement du séjour. « Quand on se déplace avec le village des caravanes, il nous faut l’eau et l’électricité, on ne se stationne que quand on a l’autorisation », précise Michel Rabbat.

Cependant, tout ne se passe pas toujours aussi bien qu’à Grenoble, les caravanes sont quelquefois cantonnées à quelques kilomètres de la foire, l’électricité n’est pas toujours disponible immédiatement et tout un tas de désagréments peuvent subvenir. Quand il le faut, les forains n’hésitent pas à utiliser leurs camions pour bloquer les routes. C’est le cas par exemple quand les maires veulent déplacer les fêtes en dehors du centre. « Les lieux festifs de la ville, on ne les touche pas », tonne Michel Rabbat qui est aussi vice-président du Syndicat national des industriels forains.

« Si on avait une réelle reconnaissance, on ne se battrait plus pour travailler. Il faut aussi que les places où se déroulent les fêtes soient respectées et qu’elles soient reconnues comme des lieux d’utilité publique, réservés aux fêtes foraines, aux cirques, aux concours de boules, aux foires expo… ». Ces vastes emplacements idéalement situés attisent la convoitise des promoteurs immobiliers. La Foire des rameaux était censée déménager en périphérie, pour préparer le terrain à la création d’un parc urbain de 1.000 logements. La nouvelle municipalité a annulé ce projet, la foire a pu fêter ses 80 ans sur l’Esplanade, pour le bonheur des forains et des Grenoblois.

Zor


Cet article est tiré du dossier "Nomades d'aujourd'hui", publié dans Lutopik numéro 4. Ce magazine papier fonctionne sans publicité ni subvention et ne peut continuer d'exister que grace à ses lecteurs. Si vous appréciez Lutopik, vous pouvez vous abonner, commander un exemplaire (rendez-vous ici) ou nous faire un don.