Les forêts protégées du Chat sauvage

Dans le nord du Morvan, des particuliers ont créé un groupement forestier qui acquiert des parcelles pour les soustraire à l’appétit des grosses sociétés sylvicoles. Une façon de lutter contre l’enrésinement des forêts morvandelles qui détruit la biodiversité et abîme les paysages.

L’arrivée du pin Douglas dans le Morvan, initié dans les années 1950, a profondément modifié les paysages et les écosystèmes. À Brassy, petite ville située au nord du Parc naturel du Morvan, le changement est bien visible. « Il y a 25 ans, il n’y avait pas de sapins ici. Aujourd’hui, on est cernés, on sent l’étau qui se resserre », explique Frédéric Beaucher. Derrière la terrasse de sa maison en bois, la colline couverte de résineux et balafrée par une coupe à blanc appuie son propos. Partout dans le Morvan, les forêts de feuillus sont peu à peu remplacées par des monocultures de résineux aux conséquences environnementales dramatiques : appauvrissement et acidification des sols, pollution des eaux liée aux amendements apportés pour combler l’épuisement des sols, destruction des cours d’eau forestiers, etc. (voir article précédent)

Face à ce désastre, Frédéric Beaucher et quelques amis viennent de créer un groupement forestier : le Chat Sauvage. Celui-ci achète des parcelles forestières avant qu’elles ne tombent dans les mains de grands groupes sylvicoles qui les remplaceraient par des cultures intensives de résineux. C’est le modèle initié par Autun Morvan Écologie, une association à l’origine d’un groupement forestier créé il y une douzaine d’années afin de faire de la « sylviculture proche de la nature » (voir encadré). Les groupements forestiers sont une forme juridique est très intéressante dans un contexte qui favorise les gros propriétaires. En effet, lorsqu’une parcelle de moins de quatre hectares est mise en vente, la loi donne la priorité aux propriétaires riverains. Ainsi, plus on dispose de parcelles, plus on a de chances d’en acquérir de nouvelles. « En noyautant le massif, on fait un peu obstacle à ceux qui veulent planter des résineux », résume Frédéric Beaucher. Mais pour le Chat Sauvage, contrairement au groupement d’Autun Morvan, la sylviculture, même raisonnée, n’est pas la priorité : « L’objectif numéro un est le maintien de la biodiversité et de la qualité des paysages. »

L’idée trouve rapidement des adeptes et le groupement démarre avec une quarantaine de sociétaires au printemps 2015. « Les sociétaires ne sont pas des professionnels de la forêt et nous n’avons pas tous la même culture politique, mais tout le monde est pour la préservation de la forêt », indique Frédéric Beaucher. Pour faire écho aux deux courants en débat au Chat Sauvage, certaines parcelles seront entièrement abandonnées aux bons soins de la nature, tandis que sur d’autres, l’humain interviendra « en douceur » pour favoriser certaines essences ou certains arbres. Et en cas d’exploitation du bois, ce sera sous forme de prélèvements raisonnés, pour un usage local.

Se réapproprier les forêts

Les sociétaires ne prennent pas des parts au Chat Sauvage pour gagner de l’argent. Les parcelles acquises ne le sont pas sur des critères de rentabilité, mais pour leur intérêt dans la préservation de l’environnement. Pour l’évaluer, un comité scientifique va être créé. Composé de professionnels de la forêt et des milieux naturels, il aura aussi comme mission d’orienter la gestion des parcelles acquises et, à terme, de créer des liens avec des instituts de recherche qui pourraient être intéressés par ces parcelles pour réaliser des études environnementales. Il est prévu que tous les frais de fonctionnement soient couverts par la vente de bois et que l’éventuel excédent soit réinvesti dans l’achat de nouvelles parcelles et non pas partagé entre les membres du groupement. Le prix de la part est de 200 € et les parcelles boisées sont achetées au prix du marché, soit environ 3.000 € par hectare.

Pour le moment, le Chat Sauvage est propriétaire de 4 ha et dix autres sont en cours d’acquisition. Il détient essentiellement des petites parcelles considérées comme ayant peu de valeur économique, et devrait même acquérir une portion de forêt déjà coupée à blanc. Car même chez les vendeurs sensibles à la démarche écologique, la culture est forte de retirer le bois avant de vendre les parcelles. À terme, le Chat Sauvage souhaite être propriétaire de 150 à 200 ha. « S’il est intéressant d’atteindre une taille critique suffisante pour une gestion pertinente, je suis favorable à ce qu’il y ait plusieurs petits groupements forestiers de proximité plutôt qu’un gros. Cela permet d’obtenir facilement des informations sur les parcelles alentour, d’être en contact avec nos voisins et de restaurer le lien entre les populations et leur forêt », explique Frédéric Beaucher.

Jusqu’à présent, les gros propriétaires forestiers de la région n’ont pas cherché à mettre des bâtons dans les roues du jeune Chat Sauvage. « Politiquement, on n’est pas dupes. On sait qu’on ne remet pas en cause le système », indique Frédéric Beaucher. « Il existe d’autres mouvements, y compris de l’arrachage de jeunes plants. Nous, nous restons dans un cadre légal. Mais en termes de biodiversité, ce que l’on fait n’est pas nul ».

Texte : Sonia

Dessin : Caroline Pageaud


Cet article a été initialement publié dans Lutopik #8 paru à l'automne 2015. Vous pouvez le commander ou vous abonner sur cette page.

Sommaire du dossier consacré à la forêt

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