Obsolescence programmée : tous responsables

Des collants qui filent trop vite à l’ordinateur qui lâche dès la garantie expirée, les exemples d’objets du quotidien dont la durée de vie est scandaleusement faible sont légion. Pour lutter contre cette obsolescence organisée qui génère chaque année des tonnes de déchets évitables, fabricants, pouvoirs publics et consommateurs doivent prendre leurs responsabilités.

Cet automne, l’événement technologique et culturel fut la sortie de l’iPhone X. Reportages sur les files d’attente devant les magasins, témoignages des premiers clients, quelques enquêtes sur le succès commercial de la marque : difficile d’échapper au matraquage publicitaire qui se répète tous les ans, à chaque nouvelle version du smartphone le plus vendu au monde. Au point de commencer à faire saturer même les plus technophiles, en témoigne une tribune relayée par Le Monde : « Dix ans après la sortie du premier iPhone, la vraie “révolution” serait que des multinationales de l’électronique comme Apple produisent des smartphones socialement, écologiquement et fiscalement soutenables », écrivent les signataires (sociologues, chercheurs, associations environnementales, etc.).

Avec environ 20 kg de déchets d’équipements électriques ou électroniques (DEEE) produits par an et par habitant, interroger les méthodes des fabricants semble en effet particulièrement urgent. Et en la matière, « les smartphones sont les cumulards de l’obsolescence programmée », estime Laetitia Vasseur, présidente de l’association HOP pour Halte à l’obsolescence programmée, une pratique qui consiste à raccourcir volontairement la durée de vie des produits pour en vendre plus. Et si les smartphones sont les champions de l’obsolescence programmée, c’est qu’ils jouent sur plusieurs tableaux : l’obsolescence logicielle, l’obsolescence matérielle et l’obsolescence esthétique. La première consiste à concevoir sans cesse de nouveaux logiciels ou de nouvelles versions des logiciels qui ne s’adaptent pas sur les anciens modèles de téléphone. La deuxième est à chercher du côté des pièces de mauvaise qualité, conçues pour ne pas durer et ne pas pouvoir être réparées. Quant à la dernière, il s’agit de promouvoir sans cesse la nouveauté et de rendre ringardes les versions antérieures. Ce trio bien rôdé confère aux smartphones une durée de vie ridicule : l’utilisateur moyen change de téléphone tous les 22 mois.

44 % des appareils électroniques ne sont pas réparés

Les téléphones ne sont bien sûr pas les seuls à faire les frais de cette stratégie marketing. Ampoules, électroménager, automobiles, collants, etc. : de nombreux objets du quotidien semblent ne plus durer aussi longtemps que ceux de nos parents. Si aucune étude n’a été réalisée sur la durée de vie de ces objets à travers les décennies, empêchant des comparaisons fiables, des associations ont cependant commencé à se pencher sur la question dans les années 2010. Les Amis de la Terre et le Cniid (devenu Zero Waste en 2014) estiment qu’un téléviseur à tube cathodique durait 10 à 15 ans, lorsqu’un écran plat peine à dépasser 5 années[source], ou 10 pour les plus optimistes[source]. Dans un rapport de 2012, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) constate que l’on répare de moins en moins les objets : 44 % des appareils électriques ou électroniques défectueux ne sont pas réparés. Pour les produits blancs (petit et gros électroménager), les raisons invoquées « sont d’une part une fiabilité accrue, d’autre part une baisse de la réparabilitée en raison d’une complexité croissante et enfin la baisse des prix des appareils neufs susceptibles de rendre peu attractive la réparation d’un point de vue économique pour le consommateur », note l’Ademe.

Outre les conséquences économiques, qui touchent particulièrement les plus pauvres n’ayant pas les moyens d’investir dans du matériel de qualité, l’obsolescence programmée engendre de nombreux déchets : les DEEE (les déchets d'équipements électriques et électroniques) ont augmenté de 32 % en cinq ans, estime l’université des Nations unies. Et leur recyclage laisse encore à désirer. Selon le PNUE, « 60 à 90 % des déchets de produits électroniques échappent aux filières de traitement et sont vendus ou enfouis en toute illégalité via des réseaux criminels ». En France, 70 % de ces déchets ne sont pas collectés et sont incinérés ou enfouis en décharge.

Cette importante production entraîne aussi une surconsommation d’énergie et de ressources non renouvelables, à commencer par les métaux, devenus incontournables dans nos appareils électroniques. Un téléphone peut ainsi contenir jusqu’à 12 métaux différents. Leur extraction a de lourdes conséquences sur les paysages, la qualité et la quantité de l’eau pour les populations voisines de ces mines et carrières, et plus généralement leur qualité de vie. Enfin, à ce rythme, la pénurie nous guette : cuivre, plomb, nickel, argent, étain ou zinc pourraient bien devenir rares d’ici 20 ans, estime l’OCDE.

Face à ce constat, les pouvoirs publics se sont emparés du problème. En France, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte définit pour la première fois l’obsolescence programmée et la condamne : cet « ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement est puni de deux ans d’emprisonnement et de 300.000 € d’amende ».

Un délit difficile à prouver

L’intention est là, mais pour le consommateur floué, il est très difficile de faire reconnaître l’aspect programmé de l’obsolescence de ses produits. « Si nous sommes contents que l’obsolescence soit devenue un sujet politique, on est sceptiques sur le délit d’obsolescence programmée, car il nous paraît très compliqué de prouver l’élément intentionnel », indique Guilhem Fenieys, chargé de mission à l’UFC - Que Choisir. De fait, deux ans après la loi, seule une plainte a été déposée en septembre dernier par l’association HOP, qui vise les fabricants d’imprimantes jet d’encre [NDLR : début janvier HOP a déposé une plainte contre Apple, qui a reconnu avoir bridé ses anciens modèles d’iPhone. Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour tromperie et obsolescence programmée].

D’après l’association, ces derniers cumulent les facteurs d’obsolescence : des blocs d’alimentation fragiles et difficiles à trouver, des chariots de cartouches pas toujours amovibles, et surtout, des machines conçues pour limiter le nombre d’impressions et afficher un message annonçant la fin de l’encre bien avant que la cartouche soit effectivement vide (jusqu’à 20 à 30 %). HOP accuse aussi les industriels d’empêcher l’usage de cartouches génériques afin de vendre toujours plus de cartouches, plus lucratives que les imprimantes elles-mêmes. L’association espère démontrer qu’il y a une volonté délibérée d’augmenter le taux de remplacement des cartouches. Pour l’UFC - Que Choisir, « une des solutions serait qu’un lanceur d’alerte, quelqu’un en interne, accepte de témoigner, ce qui n’est encore jamais arrivé ». L’association de consommateurs préfère donc, quant à elle, parler d’obsolescence organisée, dans le sens où tout est mis en œuvre pour que les appareils ne soient pas réparables.

Pour lutter contre l’obsolescence, HOP mise sur deux leviers principaux : la disponibilité des pièces détachées, et l’allongement de la garantie légale de conformité. La première est prévue par la loi consommation de 2014, qui impose l’affichage de la durée de disponibilité des pièces détachées, mais « le décret d’application a vidé la loi de son sens », regrettent Guilhem Fenieys et Laetitia Vasseur. En effet, il n’impose aucune obligation d'information négative : « un fabricant qui ne propose pas de pièces détachées n’a aucune obligation de le signaler, tandis qu’un fabricant qui fait l'effort d'afficher la disponibilité des pièces détachées pourra se voir sanctionné s'il ne parvient pas à les fournir dans les conditions prévues par la loi », dénonce l'UFC. Résultat : cette information n’est presque jamais disponible. Seules quelques sociétés ont joué le jeu en en faisant un argument de vente, à l’instar du groupe Seb qui a décidé il y a un an d’afficher pour tous ses produits une « garantie de réparation de 10 ans », c’est-à-dire la possibilité durant cette période de se procurer des pièces de rechange à des tarifs intéressants. C’est aussi la promesse du Fair Phone, un smartphone fabriqué par une entreprise néerlandaise selon les critères du commerce équitable. En plus de ne pas être fabriqué dans des pays à bas-coûts, et de ne pas contenir de métaux extraits dans des zones où ce bizness finance les ventes d’armes, le Fair Phone se veut facilement réparable et améliorable en ne changeant que les composants usés ou obsolètes. Afin que ces initiatives ne restent pas des exceptions, l’UFC et HOP ont donc attaqué le décret devant le Conseil d’État, sans retour pour le moment.

Etendre la garantie ?

Le second levier mise sur l’extension de garantie légale de conformité, qui repose sur la présomption de défaillance de la part du fabricant en cas de panne. Celle-ci est pour l’instant fixée à deux années. Pour allonger la durée de vie des équipements électriques et électroniques, l’UFC propose d’adapter cette durée de garantie en fonction du prix de l’appareil et de sa durée de vie. Par exemple, un lave-linge dont le prix est compris entre 600 et 800 € pourrait être garanti 6 ans, alors que le modèle un peu plus cher serait garanti plus longtemps.

D’autres pistes pour réduire l’obsolescence programmée ou organisée des objets sont évoquées par les associations : promouvoir l’usage plutôt que la propriété (par exemple avec des systèmes de location ou de mutualisation d’outils), mettre en place une TVA réduite pour les activités de réparation, ou encore afficher la durée de vie des produits. Cette dernière mesure a déjà fait l’objet de plusieurs rapports, notamment de l’Ademe, qui montrent qu’elle aurait un impact fort sur le comportement des consommateurs. « C’est également une promesse d’Emmanuel Macron », indique Laetitia Vasseur. En attendant que les fabricants se décident à produire des objets solides, ou que les pouvoirs publics les y obligent, les consommateurs ont le pouvoir de résister à cette obsolescence : faire le choix de réparer plutôt que de jeter, acheter des produits réparables, privilégier les logiciels libres, faire pression pour réclamer des produits électroniques dont le codage informatique est rendu public, faire connaître les marques fiables comme celles qui ne le sont pas, et bien sûr, ne pas céder à l’obsolescence esthétique ou aux promesses de renouveau des marques qui veulent faire passer des nouvelles versions de téléphone pour des révolutions technologiques.

Sonia

Article publié dans Lutopik 17, Hiver 2017-2018, dont le dossier était consacré aux déchets

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Sommaire :

P. 4 : Une ferme urbaine pour reprendre sa vie en main

P. 6 : L'ère des déchets

P.  8 : Entretien avec Baptiste Monsaingeon

P. 14 : Déchets centenaires et convoitises dans la crau

P. 17: L'incinération, un sujet brûlant

P. 20 : Sur la trace des vieux pneus

P. 22 : Obsolescence programmée : tous responsables

P. 26 : Mission réparation

P. 28 : Choucroute : un jus électrique
 
P. 30. biffins : les recycleurs précaires

P. 32 : L'internationale des pinseyeurs

P. 34 : Portfolio : les pieds sur terre

P. 38 : La bataille du café bio au Costa Rica

P. 41 : Le coin des copains

P. 42 : Frênes : tous condamnés ?

P. 44 : Prostitution : une loi pour rien ?

P. 46 : BD : l'agriculture intensive ne nourrit pas le monde

P. 51 : Des contrats vraiment pas aidés

 

Commentaires

J'ai justement eut le problème récemment sur un lave linge. Grande marque très reconnu, pièce encore disponible, mais 250€ la pièce. Sur une machine ayant 10/20 ans d'age, la question de réinvestir une telle somme n'a pas été en faveur de la réparation. Ensuite en voulant remplacer, je trouvais surtout des laves linge hyper technologique, avec bluetooth, calculateur de lessive, ... J'ai finalement après de nombreuses recherches trouvé un modèle qui était mal noté car "solide, efficace mais dépassé". Si les constructeurs ont une part de responsabilité, c'est effectivement aussi une responsabilité commune de vouloir des appareils toujours plus interactifs, et donc plus complexe, plus fragile, moins réparable, etc AU final, le toujours plus du consommateur (plus de technologie pour moins cher) a entraîné des machines avec davantage de faiblesse.

Ce que je ne comprends pas, c'est qu'on nous dit à la fois : - les extensions garanties des revendeurs sont de l'arnaque car en général un bien défaillant tombe en panne au bout de 2 ans et un bien non défaillant tombe en panne d'usure après 5 ans. - les constructeurs font exprès que ça soit irréparable au bout de 2 ans (condensateurs défaillants dans les télés, batteries inchangeables ou hors de prix pour les téléphones, etc...).

J'ai acheté il y a 28 ans, un micro-ondes qui fonctionne encore parfaitement et ne fuit pas des ondes (j'ai un testeur). Durera-t-il aussi longtemps que la "Jeannette" (pour rapper les carottes)et la "Marie" (pour faire la soupe) dont j'ai hérité de ma grand-mère ? Ces appareils datant des années 50-60, ont été fabriqués avant l'invention de l'obsolescence programmée ! Du coup, j'encourage tous ceux qui en ont marre de se faire arnaquer à aller voir dans les vide-grenier où l'on trouve encore ce genre d'appareils increvables !