Retour vers la consigne

En France, la culture du tout jetable a eu raison de la consigne. Mais face aux exigences environnementales et sous l’impulsion de collectivités locales débordées par les tonnes de déchets, elle refait aujourd’hui timidement surface. 

Pour les plus jeunes, la consigne est souvent associée au gobelet distribué en festival qu’il faut rapporter à la fin pour récupérer son euro. Pour nos voisins belges, suisses, allemands, danois, etc., elle correspond encore à une réalité bien ancrée, y compris pour certaines bouteilles en plastique. En France, les plus de quarante ans se souviennent qu’elle était une pratique courante et que la plupart des commerces disposait d’une machine à déconsigner, qui rendait de la menue monnaie en échange des bouteilles vides. Alors pourquoi a-t-elle disparu malgré ses avantages écologiques indéniables ?

« Les années 1960 sont marquées par l’automatisation de la production industrielle. De nouveaux produits inondent le marché, le concept du jetable fait son entrée et la société de consommation s’installe progressivement », analyse le Cniid, le Centre national d’information indépendante sur les déchets devenu depuis Zero Waste France. La publicité met en avant l’aspect pratique et hygiénique du verre à usage unique, et « même si c’est un peu plus cher, cela fonctionne parce que c’est considéré comme une nouveauté bien pratique », indique Laura Caniot, spécialiste du sujet chez Zero Waste France.

Trop de déchets 

Mais assez rapidement, les emballages s’accumulent. En 30 ans, leur volume est multiplié par deux, jusqu’à représenter 50% des déchets ménagers dans les années 1990, constate l’Agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie dans une étude publiée en 1993. Pour les collectivités locales, qui ont en charge le coût de traitements des déchets, cela devient de plus en plus cher. Dans le Nord, une étude chiffre par exemple à 13,63 centimes d’euros le cout de traitement d’un kilo de verre. Cette matière représente environ 50kg par an et par personne de déchets, auxquels s’ajoutent tous ceux jetés dans la nature, environ 500 kg/km selon certains services de nettoyage. 

Les industriels, responsables de l’accroissement des déchets, sont mis pour la première fois à contribution en 1992. Trois choix s’offrent alors à eux : soit ils organisent un système de  consigne pour réutiliser les emballages, soit ils collectent eux-mêmes les déchets de leurs produits, soit ils s’acquittent d’une contribution auprès d’Eco-Emballages, une entreprise privée agréée par l’État qui lui confie la charge d’organiser le recyclage des déchets d’emballages. Le montant à régler est fonction du poids et du nombre d’emballages produits par l’entreprise, et peut être minoré si des efforts sont faits pour faciliter leur recyclage.

Alors que les deux premières solutions demandent aux producteurs d’emballages de prendre en charge la totalité du coût de traitement, ce n’est pas le cas pour cette dernière option. « La somme versée par les producteurs d’emballages ne correspond pas au coût réel de leur recyclage. C’est beaucoup moins cher et c’est donc l’option que tous les industriels ou presque vont choisir », explique Laura Caniot. Les industriels peuvent alors apposer sur leurs produits le fameux « point vert », ce logo à deux flèches entremêlées laissant penser que le matériau est recyclable ou recyclé, alors qu’il signifie seulement que le fabriquant de l’emballage assume une partie des coûts de sa collecte et de son traitement. Cette contribution doit permettre à Eco-Emballages de couvrir 80 % des coûts nets d’un service de tri et collecte. Les industriels la répercutant sur le prix des marchandises, le consommateur est le grand perdant de l’opération : il paye plus cher son produit, et contribue encore au coût de la collecte au travers de ses impôts locaux. 

En Alsace, la consigne a perduré

Il existe pourtant des alternatives à ce système qui favorise les industriels et les montagnes de déchets. Les cafés, hôtels et restaurants ont conservé la pratique de la consigne et 40% des bouteilles en verre et des fûts de bière sont ainsi réutilisés. Cela permet chaque année d’éviter la production de 500.000 tonnes de déchets. Et l’Alsace aussi résiste à la bouteille en verre à usage unique. Trois brasseurs y ont maintenu la consigne pour les particuliers : Kronenbourg, Meteor et Heineken, qui ont mutualisé leurs bouteilles de bière.
Dans cette région, la consigne de bouteilles de bière fonctionne très bien, car « les distributeurs sont en grande majorité équipés de machines de déconsignation et les consommateurs traditionnels des produits emballés dans du consigné connaissent le principe et assurent un taux de retour d’au moins 95 % », indique une étude sur le sujet (voir encadré).  Mais si les Alsaciens n’ont pas oublié le geste de la consigne, d’autres souhaitent le retrouver. Un sondage IPSOS réalisé dans le Nord de la France montre que 68% des personnes interrogées se disent favorables au retour de la bouteille consignée. « Ce n’est pas de la nostalgie. C’est une mesure de bon sens », analyse Mikael Schneider, animateur du Réseau Consigne, qui coordonne plusieurs expérimentations en France.

Le principe de la consigne a enfin été inscrit dans le nouveau Programme national de prévention des déchets pour 2014-2020. Celui-ci préconise « dans les filières où c’est pertinent, d’étudier si et dans quels cas des systèmes de consigne pour réemploi peuvent être pertinents, et le cas échéant, de donner aux éco-organismes [tel qu’Eco-Emballages] des objectifs liés au développement de tels systèmes ». C’est encore bien timide mais l’idée fait mouche. « Ce sera une bataille », annonce Zero Waste France. D’autant qu’Eco-Emballage est un lobby puissant qui voit d’un mauvais œil un éventuel retour de la consigne : « sa mise en place nécessiterait de financer un nouveau dispositif de collecte et de logistique qui ne concernerait par ailleurs qu’une partie des emballages déjà bien recyclés et qui entrainerait une hausse des coûts pour les consommateurs », argue l’éco-organisme. 
Pour enclencher la pratique, Zero Waste France pilote un groupe de travail qui doit rendre ses résultats en juin 2015. Il étudie notamment les quelques expérimentations ayant cours en France : des viticulteurs en Côte d’Or, en Provence et dans le Saumurois, ainsi que le programme Boreal qui vise à implanter une unité de déconsignation dans le Nord (voir encadré). « Aujourd’hui, le pratique manque cruellement. Lorsqu’on aura des retours concrets sur l’expérimentation, d’ici huit mois, on pourra faire bouger les choses. Il faut favoriser les actions volontaristes, c’est déjà un bon premier pas », estime Laura Caniot.

Toutes ces expérimentations sont soit initiées soit soutenues par les collectivités locales, qui espèrent ainsi réduire leurs coûts de gestion des déchets ménagers. Mais la consigne peut également être attractive pour les producteurs. « Les expérimentations en cours sont rentables. Par exemple des viticulteurs dans le Var payent 30 centimes la bouteille neuve contre 0,14€ la bouteille consignée et lavée », explique Mikael Schneider. D’autant qu’avec la hausse du prix de l’énergie, fabriquer une bouteille en verre va devenir de plus en plus cher.

Le vrac, nouveau marché pour la consigne ?

Cependant, la remise en place d’un système de consigne est coûteux et nécessite de repenser tout l’appareil industriel. Le verre doit être un peu plus épais pour résister plus longtemps, la colle des étiquettes doit être hydrosoluble pour partir au lavage, il faut équiper le territoire d’unités de stockage et surtout de laveuses afin que le transport jusqu’au lieu de remplissage n’excède pas 260 km, seuil fixé par l’Ademe pour que la consigne reste intéressante économiquement et écologiquement.

Sans attendre les résultats d’expériences, quelques entrepreneurs s’attaquent déjà au marché, comme Gérard Bellet, qui a fondé Jean Bouteille, une entreprise de bouteilles consignées destinées à la vente de liquides en vrac. Le système surfe sur la mode de la vente en vrac et y allie la consigne à l’ancienne : les magasins partenaires disposent d’une embouteilleuse et de bouteilles siglées Jean Bouteille que leurs clients remplissent eux-mêmes. L’embouteilleuse imprime une étiquette indiquant la nature et l’origine du produit ainsi que sa date limite de consommation. Une fois vidée, ils la rapportent au magasin qui leur échange contre une propre. à charge pour Jean Bouteille de récupérer la bouteille sale, de la laver, et de la retourner au magasin. Si le client ne veut pas remplir à nouveau sa bouteille, il la rend et récupère sa consigne. 

Si le système permet de redonner une vie à la consigne, il n’apporte pas grand intérêt dans le cas de la vente en vrac, un secteur où les clients ont l’habitude de réutiliser leurs propres contenants, qu’ils lavent eux-mêmes. Gérard Bellet, lui, justifie le lavage obligatoire de la bouteille par l’unité industrielle à chaque réutilisation par le fait que « ce n’est pas facile et contraignant de laver soi-même ses bouteilles et les producteurs sont réticents à ce que les clients achètent leur liquide dans une bouteille sale, qui risquerait nuire à la qualité du produit ». 
Une autre piste pour remettre la consigne au goût du jour pourrait être de ne pas la limiter uniquement au réemploi, c’est-à-dire au remplissage, mais d’ouvrir le principe au recyclage. L’objectif serait alors d’améliorer le taux de collecte de certains produits, et de diminuer le taux de déchets d’emballages abandonnés sur les bords de route. « On pourrait aussi envisager une consigne sur les piles », suggère Laura Caniot de Zero Waste France. « C’est affligeant qu’on ait encore seulement une pile sur trois de collectée lorsque l’on sait les dommages environnementaux que cause une pile mise en décharge ».

Sonia


Cet article a été publié dans le magazine Lutopik numéro 6, paru en décembre 2014. Pour commander un numéro ou vous abonner, rendez-vous sur cette page.