Athènes : l'aéroport bradé, les occupants bientôt éjectés

Dans sa fièvre de privatisation des biens publics, l’état grec vient de vendre à un promoteur greco-sino-émirati un site qui comprend notamment l’ancien aéroport d’Athènes, une ancienne base militaire US, deux marinas, des installations et des espaces verts. Les occupants actuels, dont une clinique gratuite, des associations et entreprises, doivent laisser place à des hôtels, des résidences et des magasins pour le tourisme de luxe. Mais ils ne comptent pas tous obéir.

Le parking sert de terrain d’entraînement aux manœuvres pour les apprentis camionneurs tandis que le dépose-minute est squatté par des chiens qui meurent d’ennui sous le soleil de plomb. Sur le tarmac de la piste d’atterrissage, la nature tente timidement de reprendre ses droits. D’ici deux ans, les pelleteuses devraient casser le calme olympien qui règne au pied du mont Immitos.

Car l’ancien aéroport d’Athènes, l’Hellinikon, situé sur la commune d’Elliniko au sud de la capitale et désaffecté depuis 2001, devra laisser place à la « Marina Residential Tower » et au « Parkside Residential », des ensembles de villas et d’immeubles de luxe avec accès privés à la plage et vue sur la mer. Il y aura également des hôtels, un centre commercial ou encore un « business park ».

147 € le mètre carré

En tout, l’état a vendu 620 ha de terrain. Depuis deux ans, il est prié par la Troïka (le FMI, la Commission européenne et la Banque centrale européenne) de privatiser ses biens pour renflouer ses caisses. Aujourd’hui, il vend ses « bijoux de familles ». Seul problème, 70 organisations se sont installées peu à peu dans les bâtiments présents ici et là autour de l'aéroport, sur proposition de la métropole athénienne ou de la mairie. On compte parmi elles une caserne de pompiers, un commissariat, un dépôt de trams et de bus, des services municipaux ou nationaux qu’il va falloir transférer. « Rien que pour le déménagement de la station météorologique, l’état va devoir dépenser 17 millions d’euros », s’insurge Chritos Sideris, médecin bénévole dans une clinique gratuite située sur le terrain. Vendu pour 915 millions d’euros, soit 147 € le mètre carré, l’état grec ne devrait pas faire de gros bénéfices : « Il y a deux ans, la mise à prix était de 5 milliards d’euros alors que les impôts calculent la valeur de l’ensemble à quatre fois plus », explique Natassa Tsironi, bénévole dans un jardin autogéré de 15 ha qui offre des parcelles aux chômeurs et des légumes aux plus pauvres par le biais d’une épicerie sociale. Mais en plus, l’état doit refaire les installations d’eau et d’électricité pour les futurs complexes. à l’avenir, il devra également creuser une autoroute et participer au percement du mont Immitos pour rattacher l’Hellinikon au nouvel aéroport. Selon une employée de la mairie d’Elliniko, il y en aurait pour plus de deux milliards d’euros.

« La vente s’est déroulée dans une totale opacité », dénonce Fereniki Vatavali, urbaniste à la municipalité d’Elliniko. Comme d’autres, elle soupçonne une vente entre amis. Car parmi les quatre candidats à l’achat, trois se sont désistés sans même avoir fait d’offre. à la fin, il n’est resté que Lambda Development, un promoteur grec dont le propriétaire est accusé d’avoir une immense ardoise auprès du fisc, soutenu pour l’occasion par un groupe d’investissements sino-emirati basé au Luxembourg.

Un projet qui va supprimer  le plus grand espace vert de la capitale

L’état va également avoir à faire avec les occupants du site. Les trois communes alentour sont opposées à la vente. Tout comme les organisations sur place. « Nous avons reçu une lettre d’expulsion il y a déjà plus d’un an », s’amuse le docteur Vichas, « mais nous ne sommes pas près de partir ». Il y a trois ans, il a créé la clinique métropolitaine pour soigner gratuitement les Grecs qui n’ont pas de sécurité sociale. Plus de 25.000 patients, dont beaucoup d’enfants, y sont venus se faire soigner. Jusqu’ici, la résistance était bon-enfant avec l’organisation de concerts et de pétitions. Mais elle va bientôt passer à la vitesse supérieure. « Nous allons inviter les Athéniens à venir défendre cet espace », explique le docteur, « et si ça ne suffit pas, on pourra se défendre via la justice, car il n’y a eu qu’un seul candidat à faire une proposition et le prix de la vente est si faible que cela peut constituer un acte de trahison. Ils prennent prétexte de la crise pour vendre à si bon marché ».

Opposés à la privatisation des biens publics en général, les occupants sont également contre la nature du projet qui va supprimer le plus grand espace vert de la capitale la plus polluée d’Europe. « Nous ne voulons pas de plages privées », s’insurge Natassa Tsironi. « Ce que nous voulions, c’était un vrai parc, un immense espace vert pour que tous les Athéniens puissent en profiter », regrette-t-elle. « Au lieu de cela, on va bétonner, privatiser les plages pour attirer les riches touristes alors que les gens ici vivent dans la pauvreté ».

De leur côté, l’état et le promoteur annoncent la création de 50.000 emplois grâce à un investissement de 7 milliards d’euros. « Soyons sérieux, 50 000, ça fait une ville ! », s’exaspère Feriniki Vatavali, « ils font des promesses attractives pour avoir le soutien de la population, rien de plus. L’état a privatisé cet espace pour que quelques personnes fassent beaucoup de profit alors qu’ici il y a de vrais besoins sociaux, ça devrait rester public. Ce projet est complètement inutile, les Athéniens n’ont pas besoin de cela, ça ne sera qu’une enclave de richesse, de la haute société étrangère alors qu’on aurait pu faire des projets éducatifs et culturels dans les bâtiments vides. Ça, ça aurait rendu la ville attractive ».

Récemment, une loi sur le littoral a été déposée au Parlement. Elle doit permettre de faciliter la privatisation des plages et rendre légales des constructions de bord de mer contre le paiement d’une petite amende. Pour Fereniki Vatavali, il n’y a pas de doute, c’est le résultat d’un lobbying pour faciliter le projet de l’Ellinikon.

François Chevré


Cet article a été publié dans Lutopik numéro 4. Ce magazine papier fonctionne sans publicité ni subvention et ne peut continuer d'exister que grace à ses lecteurs. Si vous appréciez Lutopik, vous pouvez vous abonner, commander un exemplaire (rendez-vous ici) ou nous faire un don.