La mort douce et choisie : un droit à conquérir

 Si la loi évolue peu à peu, la France refuse toujours d’accorder aux malades en fin de vie le droit à une mort douce et volontaire, contrairement à plusieurs de ses pays frontaliers. 

Depuis de nombreuses années, les sondages réalisés à la demande de l’ADMD, l’association pour le droit de mourir dans la dignité, se suivent et se ressemblent : environ 90% des Français se disent favorables à ce qu’un médecin puisse légalement mettre fin, sans souffrance, à la vie de personnes atteintes de maladies incurables et insupportables qui en feraient la demande.  

« Ce que les Français réclament, ce n’est pas un droit absolu de se donner la mort n’importe quand et pour n’importe quelle raison, c’est la possibilité, lorsque la vie est arrivée à son terme et que la maladie et la grande vieillesse conduisent à la mort, de choisir entre deux façons de mourir. L’une qui leur serait imposée par la famille, les médecins, la religion, et l’autre qu’ils pourraient choisir, librement, lucidement et en conscience », explique l’ADMD. Mais la loi ne suit pas. Les gouvernements successifs refusent de dépénaliser l’euthanasie, incitant les médecins à la pratiquer en secret, hors de tout cadre réglementaire qui assurerait des droits au patient comme au médecin.
Pourtant, dans d’autres pays, le droit à une mort douce et volontaire, cet « ultime droit de l’homme », a été conquis, parfois depuis plus de 10 ans. Chez nos voisins belges, suisses, luxembourgeois et hollandais, l’euthanasie ou le suicide assisté (le corps médical donnant au patient la possibilité de mettre lui-même fin à ses jours) sont autorisés lorsque les souffrances psychiques et physiques deviennent insupportables. La loi encadre strictement la pratique, et « on ne note pas d’exode des personnes âgées qui auraient peur d’être ‘‘assassinées’’ », souligne l’ADMD. Dans tous ces États, la création de ce droit s’est de plus accompagné d’un renforcement des soins palliatifs car l’euthanasie n’est qu’une solution parmi d’autres auxquelles peut avoir accès le patient.

Les directives anticipées méconnues 

En France, la fin de vie est encadrée par la loi Leonetti de 2005. Celle-ci interdit notamment « l’obstination déraisonnable » en permettant au médecin d’arrêter les traitements, en accord avec le patient ou sa personne de confiance et après une discussion collégiale. Elle autorise également l’administration d’antalgiques y compris si cela raccourcit la vie du patient. 
« Cette loi, même si elle est peu appliquée car mal connue du personnel soignant et des patients, a révolutionné les pratiques médicales », estime Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologique au sein du Conseil national de l’ordre des médecins. Mais pour les partisans de l’euthanasie, elle n’est absolument pas suffisante. Le « laisser mourir », parfois de faim et de soif lorsque l’arrêt des traitements signifie également l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, ne correspond pas à une mort douce et digne. Et rares sont les personnes qui savent que la loi Leonetti, a introduit les directives anticipées, qui permettent à chacun de définir ses souhaits quant à sa fin de vie dans le cas où il ne serait pas possible de les exprimer à ce moment là. Seuls 2% de la population a rédigé ses directives anticipées et celles-ci ne sont jusqu’à présent pas contraignantes pour l’équipe médicale. 
En décembre 2014, un rapport parlementaire a proposé des aménagements à ce texte, qui devraient déboucher sur une nouvelle proposition de loi en 2015. Ils prévoient notamment de rendre les directives anticipées contraignantes et d’autoriser la sédation terminale, c’est-à-dire l’endormissement du patient jusqu’à sa mort, lorsque celui-ci, ou à défaut sa personne de confiance ou son entourage a donné son accord. L’ADMD en dénonce l’hypocrisie : « si elle est bien pratiquée, la sédation ne dure que quelques heures et s’apparente à l’euthanasie. Mais lorsqu’on utilise les mauvais produits ou des doses insuffisantes, la mort ne survient qu’après plusieurs jours, voire plus d’une semaine. C’est une mort insupportable, autant pour le patient que pour ses proches », estime Jacqueline Jencquel, administratrice de l’association. 

Des euthanasies discrètes

Mais la mesure était demandée par le Conseil national de l’ordre des médecins : « la sédation se pratique déjà pour soulager les patients de douleurs réfractaires aux traitements. En donnant un cadre légal à la sédation profonde, c’est-à-dire la possibilité de plonger le patient dans un état comateux, on donne les moyens au médecin de soulager la patient à tout prix. Mais ce n’est pas une euthanasie, puisqu’on ne décide pas de la mort du patient ni de son moment », indique Jean-Marie Faroudja, satisfait de cette proposition. Cette institution s’est en effet toujours positionnée contre l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté au motif que le médecin n’a pas à donner la mort, serment d’Hippocrate à l’appui. Et cela, même si un sondage réalisé en 2013 indique que 60% des médecins interrogés se disent favorables à la dépénalisation de l’euthanasie. Pour Jean-Marie Faroudja, ce chiffre ne reflète que la méconnaissance qu’ont les médecins de la loi Leonetti. Le Conseil national a même récemment radié le Docteur Nicolas Bonnemaison qui avait été relaxé par la cour d’Assises des Pyrénées-Atlantiques pour avoir abrégé la vie de sept de ces patients âgés et gravement malades.
Mais le Conseil de l’ordre n’est pas le seul opposant à l’euthanasie. Pour Jacquline Jencquel, « les hiérarchies religieuses et les lobbys pharmaceutiques qui vendent de l’espoir aux malades, par exemple des chimios qui ne servent plus à rien ou la promesse du paradis s’ils acceptent de souffrir sans abréger leur vie » expliquent aussi l’entêtement des législateurs à refuser aux citoyens la reconnaissance de leur droit à décider librement, en conscience, de leur fin de vie. En l’absence de législation autorisant l’aide active à mourir, l’association est confrontée tous les jours à des situations dramatiques, tels que des suicides ou des euthanasies opérées en secret (comme les avortements du temps où ils étaient interdits). Des actes qui contribuent à cacher et dramatiser la mort, alimentant le tabou qui règne autour de cette question.

Mortels exils

S’il est impossible de connaître les chiffres, nombre de Français partent pour mourir en Suisse ou en Belgique, de façon plus paisible, en présence de leurs proches lorsqu’ils le souhaitent. Mais devoir s’exiler pour mourir n’est pas accessible à tous. Ainsi, en Suisse, il faut compter entre 5.000 et 9.000€ suivant l’organisation qui prend en charge le suicide assisté (l’euthanasie reste interdite en Suisse). Et le voyage est souvent pénible pour des personnes très affaiblies. Quant à la Belgique, il faut être suivi depuis plusieurs années par un médecin belge pour bénéficier du droit à l’euthanasie ; ce sont donc surtout des frontaliers qui se tournent vers cette option. Pour Jean-Luc Romero, président de l’ADMD, il est temps qu’en France aussi, ce droit soit ouvert aux femmes et aux hommes qui « ne veulent pas risquer d’être infantilisés ni drogués dans les derniers instants de leur vie, ceux précisément qui réclament le plus de lucidité pour dire au-revoir à leurs amours et à leurs amis », écrivait-il dans une tribune de 2011

Texte : Sonia Pignet

Dessin: Stouff (http://deuxmainsgauchesblog.tumblr.com


Cet article a été publié dans Lutopik n°6 et fait partie de notre dossier intitulé "Place aux vieux !"

Sommaire du dossier :

« Les vieux pourraient rendre la société plus douce et plus équilibrée » Entretien avec Serge Guérin

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 La mort douce et choisie : un droit à conquérir. Enquête sur l'euthanasie