Pourquoi Sans Remède, l'histoire d'un journal

sans-remede.gifPar l'équipe de Sans Remède

L'objet de ce texte est moins de faire un état des lieux de la psychiatrie en France que d'expliquer pourquoi et pour qui nous avons créé Sans Remède. Nous saisissons cette occasion de raconter comment le pouvoir psychiatrique s'est imposé à nous, comment nous participons et faisons vivre ce journal, les rencontres et discussions qu'il suscite, nos réponses minimales mais nécessaires face à cette institution. Nous sommes bien conscients, évidemment, que la force de nos réponses n'est pas à la hauteur de la violence de la psychiatrie dans nos vies. Il est bien entendu aussi que ce n'est pas en quelques lignes que nous pourrons vous exposer l'ensemble des positionnements de Sans Remède nous vous renvoyons donc au journal lui-même dont tous les numéros sont téléchargeables sur sansremede.fr.

L'origine du journal est une rencontre entre trois personnes ayant été confrontées à l'institution psychiatrique. En discutant, il nous est apparu évident qu'aucun-e de nous n'avait trouvé la place de raconter ce que nous avions vécu à l'intérieur des murs de l'hôpital. Nous avons rapidement constaté que nous avions peu d'éléments pour comprendre les mécanismes de la psychiatrie. Pourtant il nous semblait que ce qui s'était joué pour chacun-e d'entre nous s'apparentait à une soumission, à une acceptation forcée du sort qui nous était fait. Comment une telle acceptation était-elle possible et surtout aussi rapidement ? Nous avons commencé en écrivant nos histoires, en y ajoutant les quelques éléments d'analyse qui commençaient à émerger. Nos mots étaient à la fois destinés aux gens encore internés, pour dire qu'il est possible de se réapproprier ces moments et les mettre à distance pour mieux se reconstruire. Mais nous voulions aussi nous adresser à d'autres n'ayant pas connu ce rapport avec l'institution pour mettre en garde et pour rappeler que la psychiatrie est toujours un outil de soumission et d'écrasement. C'est comme cela que le premier numéro s'est construit. Les numéros qui ont suivis sont restés dans cette lignée, d'autres personnes nous ont rejoints, contribuant sur un numéro ou plusieurs, devenant eux-elles aussi un bout de l'équipe. Le temps faisant nous avançons dans notre compréhension de ce qu'est la psychiatrie. Rapidement la réalité de l'institution psychiatrie nous a sauté aux yeux, son emprise ne s'exerce pas uniquement dans les murs de l'hôpital, mais le maillage du secteur (cet ensemble des lieux de soins sous contrôle d'un service psychiatrique tels que les hôpitaux de jour, CATTP, CAT, CMP, ESAT, Cap Emploi...) nous a donné une vue assez inquiétante de l'étendue des services ayant une fonction psychiatrique dans le monde qui nous environne. Même s'il reste important à nos yeux de regarder avec précision ce qui se passe dans les services hospitaliers psychiatriques (en milieu clos) car leurs fonctionnements sont révélateurs de l'exercice du pouvoir des psychiatres, de ses buts et de son efficacité. De plus l'hôpital psychiatrique de secteur est souvent le premier contact avec la psychiatrie, c'est là que se joue l'acceptation de l'identité de malade. C'est la raison pour laquelle dans Sans Remède nous essayons de faire des aller-retour entre les murs et hors les murs.

Nous avions posé dès le premier numéro des évidences telles que notre refus de nous exprimer dans un journal où des soignants pourraient le faire de la même manière. Nous ne voulions pas d'aval de soignants, nous voulions écrire librement, nous avions trop subi de rapports de dominations pour ne pas tenter de nous en débarrasser simplement au moins dans le journal. Les soignants parlent où ils veulent, tandis que nous avons eu du mal à nous sentir légitimes à raconter nos expériences psychiatriques. Comme il nous est apparu assez rapidement que nous ne voulions pas formuler une critique constructive de la psychiatrie, au sens où nous ne pensions pas, et ne pensons toujours pas que la psychiatrie soit réformable, aucune raison de collaborer avec qui que ce soit dans une visée positive. Il s'agissait plutôt d'entrer en résistance, si petite soit-elle, face à cette institution. À travers nos histoires puis celles d'autres gens, nous voulions mettre en lumière le fonctionnement de la psychiatrie pour mieux le comprendre, mieux le raconter et nous en défendre, tenter de nous fabriquer des armes en partageant nos expériences. Car la force de la psychiatrie aujourd'hui reste d'apparaître aux yeux de beaucoup comme une évidence et le seul recours possible face à certaines situations particulières. Nous essayons donc toujours de montrer comment en très peu de temps dans la vie d'une personne la psychiatrie s'impose comme seule solution malgré sa pratique quotidienne d'actes d'humiliation, de rabaissement et de domination sur les individus dans le but de les réadapter, plus que dans une perspective de soin. Même si cet alibi du soin (« c'est pour votre bien ») fonctionne encore très bien.

Nous ne nous situons pas dans une perspective antipsychiatrique parce que ce terme a été forgé par des psychiatres voulant réformer la place de la psychiatrie dans le monde social. Nous sommes contre la psychiatrie par nos tentatives de briser l'évidence de cette science. Si le titre du journal est Sans Remède, c'est bien parce que nous n'estimons pas que le fait de faire un journal soit une réponse suffisante. Ce journal c'est juste parler à voix haute, tout en sachant que cela ne constitue pas une solution pour les personnes en prise avec l'institution. Il est donc bien entendu que ce titre ne concerne pas la prise de médicaments, chose que nous estimons comme relevant du choix de chacun et qui ne devrait ultimement dépendre que de cela.

Notre idée est qu'il devrait quand même être possible aujourd'hui de redire quelque chose de la psychiatrie sans n’avoir que les mots « souffrance psychique » ou « manque cruel de moyens » à la bouche. Nous voulons nous rappeler aussi quel rôle a historiquement joué la psychiatrie dans la répression et le contrôle social. Quoi que puissent en dire certains réformateurs et défenseurs de la psychiatrie, la fonction de celle-ci n'a pas tant bougé que ça et en 2013 l'institution psychiatrique reste une fabrique de comportements normés et d'acceptation résignée de nos conditions, qui ne le sont souvent pas. Nous avons avec surprise découvert des journaux comme Psychiatrisés en lutte, Marge ou Mise à pied et nous nous sommes rendus compte que dans les années 70-80 il avait bien existé une critique radicale de la psychiatrie qui ne s'appuyait pas sur des discours de psychiatres, mais sur les combats menés et les expériences vécues des psychiatrisé-e-s et marginalisé-e-s. Nous nous reconnaissons un peu plus dans cette continuité-là, bien que vivant dans une réalité autre et utilisant des outils d'analyse quelque peu modifiés.

Le but de nos parutions est donc à la fois de laisser de la place à des personnes qui souhaitent raconter, témoigner de leur rapport avec l'institution psy, mais aussi à des textes faisant retour sur l'histoire de cette science ou analysant les mécanismes de transformation d'individus à des fins de réinsertion, de normalisation, de gestion.
L'équipe de Sans Remède est souvent en mouvement et ne se contente pas d'écrire le journal ; il s'agit aussi de faire vivre cette opposition en assurant une permanence mensuelle au Rémouleur à Bagnolet, de se déplacer avec les numéros pour les présenter et en discuter, de participer à des rencontres, de faire des tables de presse régulières, ou encore de faire des émissions de radio parce que la parole est parfois préférable à l'écrit pour se faire comprendre. Et, toujours, de réfléchir combien la psychiatrie n'est pas un objet politique séparable des autres, combien elle est un ciment de notre société et à ce titre doit être pensée au sein de celle-ci. C'est d'être sur terre qui est sans remède...


Tous les numéros de Sans Remède sont consultables sur leur site Internet : sansremede.fr

Cette tribune fait partie d'une série de témoignages autour de la psychiatrie publiée dans le deuxième numéro de Lutopik, sorti en décembre 2013. Vous pouvez le commander ICI, ou le consulter en ligne ICI

Commentaires

lien mort : sansremede.fr n'affiche plus que "account suspended".

Le lien fonctionne de nouveau...

Innaccessible de nouveau

bonjour, j'aimerai savoir si les personnes de montreuil ont toujours une permanence au marché le dimanche matin. J'ai une amie qui aurait sans doute besoin d'aide depuis un hosto... Bref, merci pour une réponse...

bonjour, le site de sans remede est inaccessible...