Les Naturalistes en lutte à Notre-Dame-des-Landes

« Pouvoir faire capoter le projet avec nos compétences, c'est intéressant ! ». Voilà sûrement ce qui unit les membres du collectif des « Naturalistes en Lutte », qui se battent les pieds dans l'eau contre la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ces professionnels de la nature sillonnent cette zone « exceptionnelle » et savent en mesurer toute la richesse, « un reliquat de prairies naturelles et de landes humides, un milieu quasi disparu ». Les naturalistes ne se contentent pas de dire non au bétonnage de 2 200 ha encore préservé de l’industrialisation pour construire un aéroport, ils réalisent sur le terrain une contre-expertise à l'étude environnementale commandée par AGO-Vinci, le prestataire du projet.

Cette dernière est « lacunaire » et était de toute façon « impossible à réaliser en si peu de temps ». Pour pallier ce manque, plus de 200 personnes se sont organisées, « dans la lutte, mais aussi dans le plaisir » pour obtenir la « meilleure connaissance possible de la vie sur la ZAD (zone à défendre pour les opposants, ou zone d'aménagement différé pour Vinci) ». Avec plusieurs groupes thématiques (amphibiens, botanique, reptiles, oiseaux, chauves-souris, poissons...) et un quadrillage systématique de la zone, le travail des naturalistes possède une valeur scientifique indéniable.

Ils arpentent la ZAD chaque semaine pour repérer les plantes et les animaux qui y vivent. Leur espoir : trouver des espèces rares et protégées oubliées dans l'inventaire de Vinci. Le site mérite d'être sauvegardé, car il est véritablement unique. Cette zone tampon située en tête de bassin versant peut être comparée à un château d'eau. « Les zones humides stockent de l'eau pendant quelques semaines, quelques mois et régulent les arrivées d'eau en aval, cela évite les inondations ». Les terrains de la ZAD sont gelés depuis 1974 et il n'y a pas eu de remembrements (regroupement des terres agricoles). Cela se voit au grand nombre de haies et de talus que l'on retrouve lorsqu'on se promène dans le bocage. « Il n'y a pas eu de pratiques intensives depuis quarante ans, pas ou peu d'amendements et pas de labour ». Sur le terrain, une naturaliste botaniste confirme : « L'intérêt du site c'est qu'il est très peu fertilisé, il n'y a que du pâturage extensif. Les plantes que l'on trouve ici sont adaptées aux milieux pauvres. Dans les terres riches, on trouve les plantes communes ». L’homme n'a donc pas trop dégradé son environnement et à même eu une activité bénéfique en créant les mares pour abreuver le bétail. Elles abritent désormais une faune riche et diversifiée : tritons, grenouilles, salamandres...

Des nouvelles mesures de compensation écologique dangereuses

En plus de contester les études environnementales menées à Notre-Dame-des-Landes et de proposer leur propre inventaire de la biodiversité, les Naturalistes en lutte se battent contre quelque chose de plus dangereux encore : les nouvelles mesures de compensation écologique prévues par Vinci. Pour construire le deuxième aéroport de Nantes, la superficie à bétonner est si vaste que les méthodes actuelles de compensation seraient impossibles à mettre en œuvre en respectant la loi sur l'eau. Tout le monde s'accorde pour dire que la ZAD est constituée à 98% de zones humides. Au regard de leur rôle écologique (interception des pollutions diffuses, conservation de la biodiversité, régulation hydrologique des ressources en eau), les zones humides sont bien protégées et la législation est claire. « Dès lors que la mise en œuvre d'un projet conduit, sans alternative avérée, à la disparition de zones humides, les mesures compensatoires proposées par le maître d'ouvrage doivent prévoir, dans le même bassin versant, la recréation ou la restauration de zones humides équivalentes sur le plan fonctionnel et de la qualité de la biodiversité. À défaut, la compensation porte sur une surface égale à au moins 200% de la surface supprimée ». Ici, il est impossible de trouver autant d'espace dans le même bassin versant. Pour « aménager » le double de zone humide, en considérant que cela est plausible, il faudrait trouver 4 400 ha disponibles. Irréalisable, sauf à expulser bon nombre de paysans.

Pour contourner cet obstacle, Vinci veut modifier les règles et propose son propre calcul des mesures compensatoires. Le groupe veut appliquer des coefficients distincts aux différentes zones humides en fonction de leur importance. Problème : ce système de mesures compensatoires n'évalue pas l'écosystème dans son ensemble. Sans compter que Biotope, le cabinet qui a réalisé les études environnementales, admet que Vinci s'est immiscé dans son rapport et en a modifié et amendé quelques chapitres. Dans une lettre ouverte au Comité d'expertise scientifique (instance chargée par l’État de valider la méthode de compensation environnementale), les « Décompenseurs en lutte », une émanation du collectif des naturalistes, émettent les réserves suivantes : « La compensation telle que pensée par les aménageurs, se fait à la « découpe » : parcelle par parcelle, espèce par espèce, fonction par fonction. Ces tranches seront plus tard « interchangeables », si bien que l'on pourra compenser la perte de l'une par la « bonne gestion » ou la restauration d'une autre. L'entité globale et systémique que forme l'écosystème détruit n'est pas compensée en tant que telle comme un tout écologique cohérent (…), mais morceau par morceau. Ces morceaux seraient compensés séparément et indépendamment de leur degré de connexion. L'entité fonctionnelle que constitue cette zone n'est pas prise en compte alors que le tout est beaucoup plus que la somme des parties ».

Financiarisation des ressources naturelles

Cette technique de compensation n'a jamais été appliquée en France. Son autorisation créerait une jurisprudence nuisible pour l'environnement et contribuerait à la financiarisation des ressources naturelles, comme aux États-Unis où quelque 500 « banques de biodiversité » se partagent un chiffre d'affaires annuel de 3,8 milliards de dollars. Un peu à l'image du marché des crédits carbone, une entreprise paie son droit de destruction au gestionnaire qui se charge en retour de préserver une zone de qualité supposée égale ou supérieure de ce qu'y a été détruit ailleurs. Comme si l'intégrité d'un territoire était interchangeable.

Quand les experts du Comité scientifique ont rendu leur rapport début avril (cf.encadré à droite), « le projet d'aéroport a pris un grand coup de plomb dans l'aile », jubile un naturaliste. Toutes leurs objections ont été entendues et les conclusions sont nettes : la nouvelle méthode de compensation « ne peut pas être validée en l'état ». Alors quand le Conseil national de protection de la nature (CNPN) « fait siennes les réserves présentées dans le rapport », c'est une victoire indéniable pour les opposants et cela signe peut-être l'arrêt de mort du projet d'aéroport. « Ils sont même allés plus loin que ce que l'on a dit », se félicitent les Naturalistes en lutte. Le CNPN recommande deux années d'études environnementales supplémentaires. Cette fois, les conclusions viennent de « pointures internationales en ce qui concerne les zones humides ». Il ne sera pas facile de passer outre. Au delà du cas de Notre-Dame-des-Landes, d'autres zones fragiles pourraient bénéficier de la décision du CNPN. Car c'est toute cette nouvelle méthode de compensation qui est invalidée sur le plan scientifique.

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Commentaires

J'espère que la biodiversité révélée par se groupe sera incluse à Wikipedia et/ou wikispecies et bien organisée. Ça doit être une mine incomparable d'informations qui pourrait motiver d'autres groupes