« Devrais-je avoir honte ? » - Témoignage d'une ancienne infirmière en psychiatrie

psy.gifEnfermement, déshumanisation, manque de moyens et de réflexions, la psychiatrie maltraite et est maltraitée. Dans le deuxième numéro de Lutopik, sorti en décembre 2013, nous lui avions consacré un petit dossier sous formes de témoignages de patients, de soignants, de familles de malades. En voici un, écrit par une ancienne infirmière en hôpital psychiatrique. 

Jeune infirmière diplômée d’état depuis 2009, j’ai toujours été passionnée par le domaine de la psychiatrie. Après une expérience dans les DOM-TOM, j’ai en toute logique, à mon retour, postulé au sein de l’hôpital psychiatrique le plus proche de chez moi. Mon désir de travailler en psychiatrie était animé par la volonté d’aller à la rencontre de ces patients, de les accompagner, de les écouter, de les connaître… ma réalité allait être toute autre.

Lors de mon entretien d’embauche avec le directeur des soins de l’hôpital, je lui confie mon désir de travailler avec les enfants. Il me rappelle trois jours plus tard et me propose la géronto-psy ou la Maison d’Accueil Spécialisée accueillant un public d’adultes polyhandicapés tout en me précisant qu’il « faut bien que quelqu’un y aille ». Il réussit alors à me transmettre son engouement pour son service et je choisis de m’engager au sein du service de géronto-psy (service accueillant des personnes âgées souffrant de troubles divers tels que des névroses, psychose, démence…)

L’équipe soignante était composée de deux infirmiers et deux aides-soignants le matin, et de deux infirmiers et un aide-soignant l’après-midi pour une trentaine de patients demandant une surveillance constante. Entre absences et sous-effectifs, la charge de travail était très lourde et la sécurité des patients difficile à assurer.

A 6h30, la journée commence. 30 minutes de relève le matin où l’équipe de nuit nous informe de ce qui s’est passé et puis, c’est parti. Vérification des médicaments, administration avant le petit-déjeuner de 8h00, soins d’hygiène, soins techniques (prises de sang, pansements…) et en vérité très peu de temps pour rencontrer les personnes, pour anticiper, pour désamorcer des conflits, pour rassurer dès le matin afin d’éviter des montées de violence par la suite.
Dire « non » à un patient sans prendre le temps d’expliquer mon refus, ne pas pouvoir s’arrêter pour écouter les angoisses de la nuit, toutes ces « petites choses » qui ne sont pas prises en compte dans notre temps au travail sont en réalité les bases de travail en psychiatrie. Des « petites choses» qui ne sont pas forcément visibles. Les soins en psychiatrie sont bien souvent beaucoup plus longs à réaliser que dans d’autres services. Non pas pour incompétence des soignants mais par nécessité d’expliquer, de rassurer, de prendre son temps, de réaliser le soin lorsque le patient est disponible psychologiquement et non le soignant. Une aiguille plantée dans une veine d’un patient psychotique peut être d’une violence inouïe et peut déclencher toutes sortes d’agressivités. Et je prends l’exemple d’une aiguille, mais il en va de même pour une simple douche, un simple toucher, un simple regard.
A l’heure de la réforme de la T2A (tarification à l’activité), il est difficile de mettre en valeur les soins prodigués en psychiatrie. Une prise de sang est facile à faire pour tout infirmier : elle peut prendre une minute dans un service général et parfois plus d’une heure en psychiatrie. Comment mettre en valeur cette différence ?

Un jour, un collègue avait réussi à perfuser difficilement Monsieur X pour le réhydrater. M. X était désorienté et par moments agressif. Il s’était déperfusé à plusieurs reprises et sans une surveillance régulière, il risquait une hémorragie. Il avait déjà perdu beaucoup de sang. Avec l'accord du médecin, nous l'avons contentionné (attaché ses bras sur un fauteuil avec des sangles). Lorsque sa famille arrive, elle demande pourquoi M. X est attaché. Sa petite fille me dit : « moi je travaille en psychiatrie en Suisse, nous ne maltraitons pas nos patients. Vous devriez avoir honte ». Devrais-je avoir honte ? Comment expliquer à cette famille qu’effectivement leur papa et leur grand-père avait peut-être la possibilité d’être détaché s’il y avait une personne qui pouvait être régulièrement à ses côtés, pour être certain qu’il ne fasse pas une hémorragie trop importante en se déperfusant à nouveau. Il faut trouver les mots justes pour expliquer et partager, mais le téléphone sonne, les sonnettes s’affolent, les collègues m’appellent, les familles arrivent et demandent l’infirmière…

En traversant le couloir, un patient m’interpelle pour me demander s’il peut sortir du service. Certains patients ont en effet l’autorisation de sortir si le médecin mentionne « Sortie autorisée avec accompagnement obligatoire ». J’étais alors dans l’obligation de lui répondre que je ne pouvais pas pour le moment en sachant pertinemment que je ne pourrai pas jusqu’à la fin de mon service. En réalité, les patients qui n’avaient pas de visite ne pouvaient pratiquement jamais sortir. Ils étaient alors enfermés dans le service dit « de soins ». Les activités proposées étaient très rares. Les visites du psychiatre se faisaient une fois par semaine pour les patients les « plus urgents », le service étant géré par un médecin généraliste à cause de la pénurie des médecins psychiatres.

De tels exemples, j’en aurais encore de nombreux à vous exposer. C’est pourquoi j’ai décidé pour le moment de stopper mon activité d’infirmière. Alors « devrais-je avoir honte ? » Honte de ne pas pouvoir prendre le temps, honte de répondre à ce qu’on me demande, honte de m’être laissée embarquée dans un système qui considère l’hôpital comme une entreprise au détriment des êtres humains (patients comme soignants), honte d’être passionnée.
Actuellement, ayant démarré une autre activité, je me demande quotidiennement comment il est possible de vivre cette aventure dans le respect de la personne.

N.

Photo: Agence Dem's

Tous les témoignages sur la psychiatrie sont à lire dans le magazine Lutopik numéro 2, que vous pouvez commander ICI, ou consulter en ligne ICI.

 

 

Commentaires

malade psy = nuisible, potentiellement dangereux, donc poste de dépense inutile pour les sujets sains. Quand la finance domine, il n'y a pas de place pour les inadaptés et les dérangés. L'altruisme appartient au passé, vous avez agit avec la Raison. Seule la Raison compte, le temps de la compassion est révolu !

Ma fille est hospitalisée depuis deux ans de clinique en hôpital psy, faute de place dans une structure adaptée. Elle arrive à un tel point de saturation qu'elle essaie de fuir comme elle peut. L'hôpital Ballanger dans lequel elle est internée en psy B ne peut veiller à sa sécurité donc seule solution, l'ISOLEMENT (mitard). Je suis désespérée, personne n'agit, ma fille est en train de mourir !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! on dirait un animal apeurée, abandonnée et pourtant je me bats au quotidien si vous saviez. J'ai même envisagée la mort pour essayer de sauver ma fille, je ne sais plus....

Courage!!! Nous sommes tous des êtres humains, agissez selon votre coeur. Relevez les yeux! Personne ne devrait avoir honte du bien qu'il cherche à faire!!