Notre-Dame-des Bois, la jeune ZAD du Morvan

La ZAD (Zone à Défendre) du Bois de Tronçais est un microcosme qui attire à elle des gens bien divers. Les mamies du coin venues aider à la cuisine se retrouvent à la même table que les militants les plus aguerris venus partager leurs expériences de luttes. Ici, les divergences d'opinions ne comptent guère. L'important pour le moment est le combat à mener contre Erscia et son projet de méga scierie-incinérateur-producteur d’électricité à base de volumes considérables de bois. Sur ce point, l'anar rejoint l'élu.

 

En parcourant la D985 depuis Sardy-lès-Épiry en direction de Marcilly, seul l'automobiliste très inattentif pourrait rater le panneau indiquant « Notre-Dame-des-Bois ». La nouvelle localité n’apparaît pas encore sur les cartes. Pourtant des gens habitent ici. Ils occupent depuis le 4 février un terrain agricole à la lisière de la forêt que les promoteurs industriels veulent raser. Ce jour-là, au petit matin, la préfecture publie sur Internet son arrêté autorisant le défrichement d’une partie de la forêt. Une demi-heure plus tard, bûcherons et gendarmes entrent en action. Après quelques coups de fil, la résistance s'organise et des dizaines de personnes arrivent des alentours. Cohues, bousculades. Les opposants ne parviennent pas à rivaliser face aux gardes-mobiles venus en renforts. Les services de l'État dénombreront huit arbres tronçonnés. Mais ils ne comptent que les gros chênes. En réalité, plusieurs centaines d'arbres ont été abattus sur la parcelle.

 
Occupation des lieux

 

Cet épisode marque la naissance de la ZAD du bois de Tronçais. Le soir même, on s’organise sur place pour trouver de nouveaux moyens de défense. Il y a là le noyau dur d’Adret-Morvan, une association créée en 2012 pour contrer le projet Erscia, et quelques-uns des habitants de Marcilly. Ils ont déjà attaqué en justice et fait suspendre plusieurs arrêtés autorisant l’industriel à pratiquer les premières percées dans la forêt. Le lendemain de l'affront, la propriétaire du champ mitoyen du bois de Tronçais donne son accord pour une occupation des lieux. Les opposants disposent maintenant d'un terrain pour se positionner à proximité direct de la zone à défendre. Des tranchées et des barricades de fortune barrent les chemins forestiers. Dans le champ, les cabanes remplacent très vite les tentes. Le camp de base se prépare. Un premier espace, chauffé par un poêle, est construit. Il sert aujourd’hui de cuisine et de salle à manger. Des toilettes sèches sont montées pour répondre aux besoins les plus pressants. L'arrivée des ballots de paille offerts par un paysan permet la création d'un dortoir spacieux et isolé. C'est presque un village qui sort du champ. Des jeunes d’une ville voisine décident eux aussi de s'implanter là. Ils construisent leur propre espace, un peu à l'écart, pour accueillir de volumineuses enceintes qui animent les soirées. Plus central, le « Mégalo-Paul Bar » prend forme et n'attend pas sa Licence IV pour devenir un élément important de la ZAD. Pour compléter le tableau : un point information, un petit chapiteau pour collecter outils et matériaux qui commencent à affluer, deux caravanes. Les enfants aussi prennent part à l'aménagement du territoire et disposent maintenant de leur propre cabane.

 

La semaine, c'est plutôt ambiance tranquille sur le camp. Sur la cinquantaine de membres à l’origine de la contestation, une dizaine passe presque tous les jours avec de la nourriture, des infos ou du matériel. Les habitués accueillent les curieux et renseignent ceux qui viennent frapper à la porte de la cabane chauffée. Des nouvelles personnes d'ici ou d'ailleurs ont rapidement rejoint le mouvement. Ils soutiennent, construisent, développent, échangent... Ils ont posé leurs bagages sur le pré, pour quelques jours, ou quelques mois. Parmi eux il y a ceux qui militent depuis longtemps dans différents collectifs, ceux qui débutent en la matière, ou encore ceux qui ont une info à partager. Tel est le cas de ce passionné d'archéologie passé un matin d’avril pour faire savoir qu'il avait trouvé avec son détecteur à métaux des vestiges romains dans la forêt. Sur la table, il expose son trésor : des pièces frappées du sceau de l'empereur Claudius Augustus (41-54 apr. J.-C.) et des fibules. Ses découvertes peuvent être un bon argument pour empêcher la destruction de la forêt, surtout si les traces de sépultures se confirment.

 
Une dynamique collective

 

Au calme de la semaine succède l'effervescence du week-end. Des dizaines de personnes débarquent en famille ou entre amis avec presque toujours un petit quelque chose à boire et à manger. Les tables sont bien remplies, on se régale souvent sur la ZAD ! Chacun parle, s'informe. Au fil du temps, des liens importants se sont créés. Des gens qui ne se connaissaient pas, mais qui vivent pourtant seulement à quelques kilomètres l'un de l'autre sont devenus amis. On refait le monde autour d’un café, et ce sont les compétences de tous qui font vivre le camp et qui nourrissent la lutte contre Erscia. C’est ainsi qu’est née par exemple la Synthèse sur Erscia, un document d’une dizaine de pages expliquant en détail tous les problèmes que pose l’implantation de l’usine sur cette zone. Certains ont travaillé sur la partie économique, d’autres ont apporté leurs connaissances en matière environnementale, pour créer au final un document assez complet et très documenté. Un journal, L'écho des Adrets, est distribué gratuitement à la population. Il distille à chaque numéro une information de qualité et pointe toutes les incohérences du dossier. Cette mutualisation des savoirs est également vérifiée dans le domaine des constructions, de la cuisine...

 

Outre l’objectif commun de lutte contre ce projet, les discussions permettent aussi aux habitants du coin de réfléchir à leur propre organisation de vie et de travail. L'un élève des cochons, l'autre possède un labo de transformation alimentaire aux normes. Le collectif devient possible et s'applique à des pratiques quotidiennes. La ZAD est devenue un laboratoire d’idées et de propositions pour des nouvelles formes de société. Car « rejeter Erscia, c’est rejeter le monde qui va avec », résume Pierre, un agriculteur quadragénaire très impliqué dans la vie sur la ZAD. Dans le « cahier d’idées », laissé à disposition, on recense des projets de création de maisons de retraite, de jardins participatifs, de développement de la géothermie, de crèches, etc. Bref, de tout ce que manque ce territoire délaissé. La dynamique créée est telle que certains craignent même que le projet Erscia coule trop vite. « Pour moi, Erscia est un bon prétexte pour faire bouger les choses, réunir du monde et imaginer d’autres façons de vivre ensemble », explique un trentenaire des alentours qui vient régulièrement passer quelques nuits dans l’une des cabanes.

 
La ZAD ne fait pas l'unanimité

 

À l’activité habituelle s’ajoutent parfois quelques petites alertes. Les gendarmes sont souvent de patrouille dans le coin. Ils notent régulièrement les plaques sur le parking à l’orée du bois, braquent quelquefois leur énorme projecteur depuis la route pour surveiller l'activité nocturne. Ils sont aussi venus deux trois fois sur le site même de la ZAD pour tenter de relever des identités avant de vite se voir signifier qu'ils étaient indésirables ici et qu'ils n'avaient aucun pouvoir sur cette propriété privée. Les intimidations peuvent aussi venir des habitants du coin. Ceux qui soutiennent Erscia ou qui ne voient pas d'un bon œil la dynamique subversive née avec la ZAD du bois de Tronçais veulent tenter des coups. Les rumeurs parlent de possibles intrusions des pro-Erscia sur le site pour le détruire. Pour l'heure, personne n'est venu. Les plus audacieux se sont contentés de quelques insultes lancées depuis leurs véhicules. En attendant, les débats vont toujours bon train, et les barricades montent…

Lire aussi l'article sur le projet Erscia