services publics

"L’ouverture à la concurrence est faite pour ouvrir de nouveaux marchés, pas pour résoudre un dysfonctionnement du service public"

À la question « Revenir au service public ? », titre du livre dont il est co-auteur avec Olivier Coutard (La documentation française, 2015), Gilles Jeannot répond oui. Directeur de recherche à l’École des Ponts ParisTech, il travaille depuis 30 ans sur les mutations des administrations publiques à travers le travail de leurs agents. Entretien.

Pour commencer, pourriez-vous définir un service public ?
Disons que c’est la conjonction entre une offre publique et un service dont la nature est publique. C’est ainsi qu’étaient définis implicitement dans l’après-guerre les grands monopoles de l’énergie et des transports.
Mais c’est une question piège, car la mise en cause des services publics a justement été préparée par la réduction de la définition à son second volet : ce serait la prestation (transport, électricité, santé, etc.), qui serait publique. Être transporté d’un endroit à un autre, même si c’est fait par une entreprise privée, est considéré comme l’accomplissement d’un service public. Si on définit le service public par la seule nature de la prestation, on ouvre la voie à la libéralisation.
C’est en particulier la stratégie de la Commission européenne qui, avec les SIEG, les services d’intérêt économique général, s’est efforcée de construire une théorie du service, indépendante de la question du prestataire. Cela permet à partir des années 1990 de rogner la dérogation aux règles de concurrence pour ces services qui était inscrite dans le traité de Rome de 1957.

MSAP : la privatisation de l’accueil

Pour lutter contre la désertification des services publics en milieu rural, aider les gens désemparés face au numérique, ou tout simplement assurer un accueil qui n’existe plus dans de nombreuses administrations, les Maisons de services au public (MSAP) se sont développées à grande vitesse. Mais cette privatisation de l’accueil ne résout pas les inégalités de la population face à l’accès aux services publics, d’autant que les moyens alloués sont limités.

Dans chaque bureau, les mêmes histoires. Celles de personnes, souvent âgées, parfois non francophones, venues chercher de l’aide pour remplir leurs dossiers administratifs. Des personnes démunies face au tout-numérique, habitant trop loin des grandes villes ou qui n’ont pas trouvé d’oreille attentive dans les administrations qu’elles ont contactées. « Certaines personnes, notamment des papis-mamies, viennent dans un état d'anxiété terrible. Elles se trouvent soudain dans l'incapacité de faire des démarches simples qu'elles ont jusqu'alors toujours réalisées seules, telle une déclaration d'impôt. Déconnectées, obligées de demander de l’aide et pour elles, c’est une déchéance », indique Isabelle Géhin, qui dirige cinq Maisons de services au public (MSAP) dans une zone rurale du Doubs.

La casse des services publics

Pour la plupart instaurés après la Deuxième Guerre mondiale, les services publics sont depuis quelques années consciencieusement démantelés. La course aux économies à courte échéance détruit des pans entiers des services publics pourtant garants de la solidarité, de l’égalité et de l’intérêt général.

« Comment parler d’un droit du travail protecteur des salariés, d’égalité femmes-hommes, de ré-industrialisation, de démocratie, de transition écologique si aucune institution, si aucun service public n’est chargé de leur mise en place et d’en garantir l’effectivité ? » C’est par cette interrogation que débute le manifeste pour le service public du 21e siècle édité par la Convergence nationale des collectifs de défense et de développement des services publics. Le réseau fédère plusieurs comités locaux rassemblés autour de toutes les forces vives : usagers, personnels, élus, associations, organisations syndicales et politiques concernées par la reconquête des services publics de qualité et de proximité.