L’INRA conserve des grains et invente les blés de demain

Inra2web.gifAu Centre de Ressources Génétiques de l’INRA de Clermont-Ferrand, plus de 26.000 variétés de céréales à paille sont conservées. Chaque année, les chercheurs en multiplient une partie pour régénérer les grains et maintenir la collection. Cette banque de semences est à la disposition de tous ceux qui souhaitent récupérer quelques grains, mais elle offre surtout aux chercheurs un important réservoir génétique pour élaborer les blés de demain. 

Dans la chambre froide du Centre de Ressources Génétiques de l’INRA, des milliers de grains de blé dur, blé tendre, orge, épeautre, seigle, avoine, etc. sont maintenus à 4°C dans des petits sachets étiquetés. Sur les étagères coulissantes, « plus de 26.000 variétés anciennes, actuelles, françaises ou étrangères sont ainsi entreposées depuis l’an 2000, année de création de cette banque de semences », précise Audrey Didier, conservatrice de la collection. Pour chaque variété, deux épis et quelques centaines de grains sont conservés. Tous les ans, environ 1.700 variétés sont multipliées, c’est-à-dire replantées en pépinières pour faire de nouvelles graines. Après 10 ou 15 ans selon les variétés, les grains sont en effet trop dégradés pour pouvoir germer et il est préférable de les remplacer par de nouveaux. 
Certains sachets n’ont qu’un numéro, d’autres un nom, une région d’origine, ou une date de dépôt. Elles proviennent d’un peu partout dans le monde, de banques de semences, de collections privées de semenciers, de particuliers ou d’autres centres INRA. L’Institut les met gratuitement à disposition de tous, mais en très petite quantité. Ce sont principalement les chercheurs et les sélectionneurs privés qui s’en servent, puisque 90% des envois de grains leur sont destinés. Les 10% restants partent chez des particuliers, des associations de conservation de la biodiversité ou des paysans qui veulent essayer de nouvelles variétés.

Une conservation onéreuse

Ce système de conservation demande des moyens financiers et humains importants. L’INRA multiplie ses grains sur une dizaine d’hectares et dans trois serres. Il faut de la main d’œuvre pour cultiver et ramasser les céréales, gérer le stock, retracer leur histoire, les caractériser, répondre aux commandes et assurer l’importante paperasse liée à la législation sur l’échange de graines. Pourtant, seules quatre personnes sont dévolues à cette « mission régalienne » de conservation, comme la qualifie Thierry Langin, directeur de l’unité INRA de Clermont-Ferrand, et il n’a pas de budget spécifiquement dédié au maintien et à l’enrichissement de la collection. Pour la faire vivre, l’INRA prend sur les budgets alloués à l’unité Génétique, diversité et écophysiologie des céréales (environ 140 personnes y travaillent), dont dépend le Centre de Ressources Génétiques. Dans cette unité, les principaux programmes de recherche concernent le séquençage de l’ADN des blés et la mise au point de nouvelles variétés de céréales adaptées à l’évolution climatique et culturelles des prochaines années. L’INRA de Clermont-Ferrand est notamment au cœur du programme Breedwheat, qui vise à inventer le blé de demain. 

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Doté d’une enveloppe de 35 à 40 millions d’euros sur huit ans, ce programme regroupe des organismes de recherche publique et des semenciers privés. Il doit permettre l’émergence de nouvelles variétés de blé destinées à remplacer la dizaine de variétés élites actuellement les plus utilisées dans l’agriculture. En France, « trois ou quatre variétés représentent à elles seules 70% des surfaces de blé cultivées », indique Thierry Langin. Le système des variétés élites est apparu après la seconde guerre mondiale lorsque l’Etat a décidé de miser sur l’agriculture intensive pour répondre aux besoins de production. Le rendement est alors devenu le premier critère de sélection. Les variétés n’étaient plus choisies pour être adaptées aux territoires, mais aux produits phytosanitaires leur permettant de pousser dans n’importe quel champ. Ce schéma agricole a fait de la France le premier producteur de blé européen et on exporte aujourd’hui 50% de notre production. Mais les blés élites ont été sélectionnés il y a plusieurs années ; ils ne seront bientôt plus adaptés au climat qui va changer et à la réduction des produits phytosanitaires imposée par la hausse du prix du pétrole et les programmes politiques européens. Puisque personne au sein des instances françaises ou européennes n’envisage de réduire la production de blé ou de remettre en cause l’agriculture intensive, « il faut donc changer les variétés élites pour les adapter aux futures conditions de culture », explique Thierry Langin. 

Au sein du programme Breedwheat, les chercheurs travaillent pour que les blés de demain répondent à plusieurs exigences : avoir au moins le même rendement si ce n’est plus que ceux actuels, être moins dépendants des apports en azote et mieux les assimiler, mieux résister génétiquement aux maladies, aux nuisibles, à la sécheresse ou aux forts coups de vent, présenter une meilleure qualité agronomique (notamment un taux de protéines plus élevé mais moins de gluten) malgré l’augmentation de CO2 dans l’air qui conduira à des épis plus riches en glucides. Pour obtenir de telles plantes, les chercheurs s’appuient sur les 11.000 variétés de blé de la collection de l’INRA.

Ainsi, « certaines variétés rustiques présentent des caractéristique intéressantes », estime Thierry Langin. L’hétérogénéité des blés anciens, dans une même variété ou dans un mélange de variétés, leur permet par exemple de mieux résister aux maladies. Cependant, cette hétérogénéité est un handicap dans l’agriculture intensive, qui a besoin de blés parfaitement homogènes pour la mécanisation de la culture et la transformation industrielle des grains. Les équipes de l'unité cherchent donc à identifier quels sont les gènes impliqués pour chaque caractéristique morphologique ou agronomique, ce qui leur permettra d’élaborer par la suite de nouvelles variétés de blé génétiquement modifiés par transgénèse. « On a besoin de la variabilité génétique. Les blés de la collection ne seront peut-être pas suffisants et la transgénèse offrira d’autres solutions. A-t-on les moyens de s’en priver ? », s’interroge Thierry Langin. Dans les laboratoires de l’INRA de Clermont-Ferrand, les chercheurs travaillent ainsi sur des OGM qui, s’ils sont pour l’heure interdits en culture, leur permettent de cibler les gènes qu’ils estiment intéressants. Les blés du futur promettent donc d’être hautement technologiques et le modèle productiviste agricole a encore de beaux jours devant lui.

Sonia


Une collection à entretenir

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Pour maintenir les quelque 26.000 variétés de sa collecti

on de céréales à paille, l’INRA régénère régulièrement ses graines en plantant environ 1.700 variétés chaque année. Pour chacune, une partie des graines est autofécondée afin d’empêcher son évolution et de conserver la variété exactement telle qu’ils l’ont reçue. Quelques épis sont donc ensachés durant leur culture, et les graines sont récolées à part. L’autre partie est cultivée normalement, en fécondation libre, ce qui permet de maintenir une certaine diversité génétique dans la variété. Les deux lots de graines sont ensuite conservés distinctement, dans la chambre froide à 4°C. Une petite quantité de graines est également placée dans un congélateur à -20°C, pour une conservation très longue durée (les graines conservent leur capacité germinative environ 25 ans, contre 15 à 4°C selon l'INRA). Cela permet aussi de ne pas perdre la collection en cas de problème avec la chambre froide.   

Les banques de semences

En France, l’INRA possède plusieurs banques comme celle de Clermont-Ferrand, avec chacune sa spécialité. Par exemple, les vignes à Montpellier, les tomates/aubergines/melons à Avignon, les choux et patates en Bretagne, etc. Dans le monde, il existe également plusieurs grosses banques de semences, dont les plus connues sont celles de Vavilov en Russie et la réserve mondiale de semences du Svalbard, située dans une chambre forte souterraine de l’île norvégienne du Spitzberg. Cette dernière a pour ambition de mettre en lieu sûr les graines de l’ensemble des cultures vivrières mondiales pour « préserver la diversité génétique ». Les graines y sont stockées à -30°C. Elle est considérée comme une protection supplémentaire en cas de défaillances d'un ou plusieurs autres centres de ressources génétiques. C’est la plus ambitieuse en termes de quantité, mais aussi la plus controversée car elle est financée par plusieurs gouvernements et fondations, dont celle de Syngenta, Bill Gates ou encore Rockefeller.


Cet article est tiré du dossier "Menaces sur les semences paysannes", paru dans le magazine papier numéro 2 qui est sorti de presse début décembre. Pour le commander c'est ici.

Sommaire de notre dossier :

Introduction :  Les paysans dépossédés de leurs graines

Législation : Une réglementation floue 

                     Le GNIS, un groupement tout-puissant  

                       Brevets et COV, deux outils d'appropriation du vivant

Potagères : Faire ses semences, un savoir oublié des paysans

                      Sur les traces de l'oignon de Tarassac

                         Les Croqueurs de Carottes : le goût retrouvé

Céréales : L'INRA conserve des grains et invente les blés de demain

                       Des céréales en montagne

                       Blés en mélange

En pratique : Faites vos graines


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Commentaires

Recherche sur mon père, René Leblond (1899-1954) agriculteur sélectionneur de semences à Villegats (Eure), commune dont il a été maire. 1929: Diplôme d'ingénieur technique d'agriculture à l'institut national agronomique (INA Grignon) Mérite Agricole ? Légion d'Honneur ? 1928: création de la variété originale de semence de blé "René Leblond". Protection des variétés originales de semences ? Dépôt de brevet ? Dépôt de marque ? Registre officiel des plantes sélectionnées ? Durée de protection ? Question la plus importante : Pendant combien de temps la variété de blé "René Leblond" a été cultivée en France et à l'étranger ? Je souhaite savoir si la variété de blé "René Leblond" est conservée pour l'éternité dans les différents centres de conservation. Merci. René Leblond.

Bonjour, Vous devriez creuser plus profond avant de reprendre textuellement le discours de Thierry Langin. Le programme Breedwheat prévoit l'utilisation de biotechnologies. L'INRA privilégie la conservation ex-situ. Es-ce que ce sont bien des choses à mettre en avant dans LUTOPIK ? J'en doute fort. Puisqu'on parle de l'INRA, vous pourriez aussi parler des partenariat public-privés abjects de type projet GENIUS où l'argent et les moyens de la recherche publique servent à transférer des OGM brevetés au secteur privé (Limagrain). Bonne continuation