La réglementation floue du commerce des semences

Legisweb1.gifLa législation française et européenne sur les semences agricoles est complexe, dispersée et peu claire. Si l'on peut, heureusement, encore semer n'importe quelle variété dans son jardin, il est en revanche interdit de vendre des graines d'une variété non inscrite au Catalogue officiel. Alors que Kokopelli a été condamné pour ces motifs, le Réseau Semences Paysannes mise sur plusieurs exceptions pour sortir de ce cadre législatif contraignant.

En France, comme en Europe, les textes de référence stipulent que les semences vendues, échangées ou données « en vue d'une exploitation commerciale » doivent « appartenir à l'une des variétés inscrites sur une liste du Catalogue officiel des plantes cultivées ». Les deux principales associations qui prônent plus de souplesse pour l'échange de semences paysannes ont une approche différente de la question juridique. Kokopelli réclame que « toutes les variétés du domaine public soient exemptes de toutes réglementations présentes ou futures » et fait le choix délibéré de s'affranchir des règles en vigueur. L'association vend des milliers de semences, inscrites ou pas au catalogue. Ce qui vaut à Kokopelli deux procès, l'un perdu, l'autre en cours. Le Réseau Semences Paysannes (RSP), plus légaliste, contourne cette interdiction en s'appuyant sur quelques exceptions suffisamment floues pour être invoquées. Le décret du 18 mai 1981 précise que les producteurs peuvent commercialiser « de petites quantités de semences et de plants, dans des buts scientifiques ou pour des travaux de sélection », même si elles ne sont pas inscrites au catalogue. Des semences de toutes sortes circulent ainsi légalement chez les semenciers, les chercheurs, les centres de ressources génétiques, etc.

Une faille exploitée par le Réseau Semences Paysannes

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De plus, les textes français et européens sur la commercialisation des semences ne s’appliquent que pour les échanges réalisés « en vue d'une exploitation commerciale ». Une étude juridique du RSP analyse cette faille et exploite ces possibilités. « Il n’est donc pas interdit de vendre des semences de variétés non inscrites au catalogue si elles sont destinées à une exploitation non commerciale comme l’autoconsommation (usage amateur), la conservation, la recherche, la sélection, la formation. La vente de semences pour une exploitation non commerciale peut donc offrir une nouvelle opportunité juridique pour les échanges entre agriculteurs. Cette opportunité reste cependant limitée à la vente directe (par le producteur de la semence) à l’utilisateur final (le jardinier) et ne s’applique pas aux revendeurs de semences, puisque tout achat pour revente résulte nécessairement d’une vente pour une exploitation commerciale ».

Dans un autre document, le RSP affirme en outre que « le champ d’application du décret et des directives ne concerne que la commercialisation des semences et non l'usage qui en est fait par la suite ». Pour le Réseau Semences Paysannes, rien n'interdirait aux agriculteurs de cultiver des variétés non inscrites au catalogue et d'en vendre ensuite la récolte, en l'état ou transformée. Ils estiment que ce droit est de toute façon reconnu par le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA) qui souligne la contribution des agriculteurs à la conservation de la biodiversité et leurs droits qui en découlent. Il a été approuvé par le Parlement français en 2005, mais n'a toujours pas été transcrit en droit national.

Le RSP fédère plusieurs associations de protection de la biodiversité, dont certaines qui commercialisent des semences anciennes aux jardiniers ou aux maraîchers. Avec quelques précautions, et parfois une carte de vendeur officiel achetée au GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences), elles espèrent ne pas être embêtées par la justice. Ce n'est pas le cas de Kokopelli qui ne souhaite pas négocier avec le GNIS. L'association a été condamnée en 2006 pour avoir vendu des semences non inscrites au Catalogue officiel.

Kokopelli coupable de vente de semences de variétés interdites

En 2004, les locaux de Kokopelli ont été visités par des agents de la Répression des fraudes et un agent du GNIS qui dressent une liste de 6643 infractions. Cité à comparaître au tribunal, Dominique Guillet, le président de Kokopelli, a d'abord été relaxé avant de perdre en appel. Le 22 décembre 2006, l'arrêt « déclare Dominique Guillet coupable d'avoir commercialisé des semences de variétés non autorisées » et le condamne à une amende de 17.130 €. Kokopelli s'est pourvu en cassation et la cour a confirmé le jugement. Cette affaire illustre bien le flou juridique autour de la réglementation du commerce des semences, d'autant que Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d’État à l'Écologie, avait demandé le non-recouvrement de cette amende au motif que Kokopelli « remplit une mission de service public ».

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En 2005, c'est la société Graines Baumaux qui assigne l'association devant les tribunaux, cette fois pour concurrence déloyale. Kokopelli est condamné en 2008 à verser 100.000 € de dommages et intérêts au semencier. Devant la cour d'appel, Kokopelli saisit la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Dans un premier temps, l'avocat général préconise à la CJUE d'invalider certaines dispositions relatives à l'obligation d'inscription des semences au Catalogue officiel. Mais la CJUE ne suit pas son avis et juge l'interdiction de commercialiser des semences paysannes conforme aux objectifs des directives européennes.

On attend désormais l'audience à la cour d'appel de Nancy. Cette fois, Kokopelli tentera de faire jouer certaines clauses mises en avant par le RSP pour justifier de l’autorisation de commercialiser des semences non inscrites à des jardiniers. « Nous n'avons soulevé cet argument que récemment, car notre objectif n'est pas de nous cantonner à la vente de semences à des jardiniers amateurs. Les agriculteurs doivent pouvoir avoir accès aux variétés anciennes du domaine public », souligne Blanche Magarinos, l'avocate de Kokopelli.

Tous ces démêlés juridiques ne font pas peur à Dominique Guillet. « Personne ne connaissait la réglementation sur les semences, les procès permettent de mettre en avant cette question. Plus on perd et plus on gagne ! » Le combat pour la biodiversité et la conservation des variétés anciennes ou rares de légumes ou de céréales continue. L'Union Européenne est en train de revoir sa législation, il faudra rester vigilant pour éviter que la pratique agricole millénaire consistant à semer et à s'échanger des graines ne devienne un droit définitivement menacé.

Zor

Liens : Réseau Semences Paysannes et Kokopelli (les liens des textes juridiques se trouvent dans l'article)


Encadré :

Une loi en cours à la Commission européenne

Le 6 mai 2013, la Commission européenne a adopté un règlement sur la commercialisation des semences, que les technocrates appellent désormais « matériels de reproduction végétative ». Le texte n’est pas définitif est devra être validé par le Parlement et le Conseil européen dans les mois à venir. L’objectif de la proposition est de « remplacer les douze directives existantes consacrées au commerce des semences par un règlement unique » et « d’enrayer le recul de la biodiversité d’ici 2020 ».

Mais la proposition est jugée « contreproductive et dangereuse » par l’eurodéputé Vert José Bové. La coordination européenne Via Campesina dénonce « cet incroyable cadeau fait aux brevets et titres de propriété de l’industrie agroalimentaire » , le RSP parle d’un « hold-up sur les semences soigneusement caché sous des centaines de pages de jargon réglementaire » tandis que pour Kokopelli « en définitive, la législation européenne sur le commerce des semences, en faisant correspondre exactement les critères d’octroi des droits de propriété intellectuelle sur les variétés végétales avec les critères d’autorisation des semences sur le marché, a fait du Catalogue officiel le pré carré exclusif des variétés appropriées, qui occupent aujourd’hui une place largement dominante sur le marché des semences ».

Une variété qui bénéficie d’un COV (un Certificat d’Obtention Végétale, qui donne à son détenteur le monopole de sa commercialisation) se verra en effet automatiquement inscrite au Catalogue officiel. « Dans cette proposition, la Commission européenne laisse la porte grande ouverte à la commercialisation sans restriction de plantes brevetées. Ces dernières vont évidemment se disséminer et venir polluer tous les champs, sans distinction. Le texte de loi est fait de telle façon que c'est le paysan qui a été pollué qui devra payer une amende à l'industrie, comme s'il lui avait volé des semences. Alors que c'est cette dernière qui devrait porter la charge de la décontamination des champs des paysans. C'est d'autant plus grave que la plupart de ces plantes brevetées sont des OGM cachés », selon Andrea Ferrante, membre de Via Campesina.

La Commission prévoit des ouvertures, comme la reconnaissance des échanges informels de semences entre agriculteurs à partir du moment où ils ne produisent pas de semences pour le commerce. Le texte prévoit aussi la création d’un marché de niche pour les petits opérateurs économiques (moins de 10 salariés et pas plus de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires). Ces microentreprises seraient exclues du champ d’application du décret et pour elles, la vente de semences non inscrites au catalogue serait donc possible.

Pour Michel Metz, du Réseau Semences Paysannes, il s’agit de « nouveautés intéressantes » à prendre toutefois avec précaution. « Il faut bien surveiller. Les décrets d’application peuvent véroler l’esprit de la loi, c’est le risque ». Des restrictions portant sur la quantité de graines autorisées à la vente et l’obligation de recourir à des contrôles sanitaires trop coûteux rendraient impossible une telle activité. Kokopelli rejette ce texte en bloc et demande que « les variétés appartenant au domaine public sortent purement et simplement du champ d’application de cette législation ». Cette proposition « laisse rêveur » Michel Metz. « On n’a besoin de personne si on connaît les gens avec qui on échange, mais il faut un minimum de règles pour commercer avec des anonymes ».


Cet article est tiré du dossier "Menaces sur les semences paysannes", paru dans le magazine papier numéro 2 qui est sorti de presse début décembre. Pour le commander, c'est ici.

Sommaire de notre dossier :

Introduction : Les paysans dépossédés de leurs graines 

Législation :  Une réglementation floue 

                           Le GNIS, un groupement tout puissant 

                            Brevets et COV, deux outils d'appropriation du vivant

Potagères : Faire ses semences, un savoir oublié des paysans

                         Sur les traces de l'oignon de Tarassac

                         Les Croqueurs de Carottes : le goût retrouvé

Céréales : L'INRA conserve des grains et invente les blés de demain

                       Des céréales en montagne

                       Blés en mélange

En pratique : Faites vos graines


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