Yannick Loubet, maraîcher militant pour les semences libres
Habitués depuis deux générations à acheter leurs semences dans le commerce, les agriculteurs sont peu nombreux à savoir encore faire leurs graines. Yanick Loubet a réappris, et partage désormais ses connaissances avec ceux qui lui demandent.
« La semence devient une marchandise alors que c’est la base de la vie », dénonce Yannick Loubet. Maraîcher, fils et petit-fils de maraîcher, l’homme est installé à Ruffey-lès-Beaune, en Côte-d’Or, où il cultive des légumes depuis 40 ans. Il y a une trentaine d’années, il se lance dans la production de semences paysannes pour répondre à la demande de restaurateurs qui voulaient des petits légumes de bonne qualité, impossibles à trouver sur les catalogues des semenciers. Devenu militant par la force des choses, il aide aujourd’hui d'autres agriculteurs à retrouver leur autonomie semencière.
Lorsqu’il commence à faire des semences en 1985, Yannick Loubet tâtonne. Il se souvient avoir vu son grand-père en faire, mais lui débute. Il part donc à la recherche de graines et « petit à petit, l’intérêt grandit ». Il rapporte ses premières graines de l’étranger, rencontre un collectionneur français qui lui donne de nombreuses variétés et se rapproche de Terres de Semences (ex-Kokopelli) qui commercialise dès 1994 des graines non inscrites au catalogue. Il rejoint alors le cercle restreint de ceux qui perpétuent la production de semences paysannes. « En autodidactes, on a réinventé la profession d’agriculteurs ! », s'amuse-t-il à dire.
Alors que dans son potager renaissent déjà des variétés plus ou moins oubliées, lectures et rencontres mûrissent sa réflexion sur le travail d’agriculteur, le rôle de la biodiversité et l’impact des semenciers qui « ont tout détérioré. Avant eux, les paysans étaient autonomes, ils conservaient une partie de leur récolte et s'échangeaient des semences. Aujourd'hui, ils rachètent chaque année leurs graines aux semenciers et ont perdu un savoir-faire millénaire », assène Yanick Loubet. Assez rapidement, il devient producteur de semences pour Kokopelli. « On me dit que je suis devenu révolutionnaire. Mais faire ses semences, c’est une chose naturelle qui est devenue illégale ; je ne vois pas pourquoi je ne serais pas révolté ».
Aujourd’hui, il cultive entre 1500 et 2500 variétés potagères sur un peu plus d’un hectare, dont près de 600 variétés de tomates. Il a créé « La graine et le potager », une association locale d’échanges de semences et il organise des formations de production de semences pour les maraîchers et les jardiniers. Il intervient aussi régulièrement dans deux écoles d’agriculture où l’enseignement n’aborde que très rarement ce sujet, et encore moins de façon pratique.
Depuis 2007, avec la Graine et le Potager, il se rend aussi régulièrement à l’étranger pour partager ses connaissances. D’abord en Colombie, puis au Brésil et en Argentine. « Je pars toujours à la demande des paysans locaux ». Là-bas aussi, les paysans ont perdu leurs connaissances en matière de semences, même si cela fait moins longtemps que chez nous. Mais en plus, ils sont parfois confrontés à la perte de leurs terres, ou à l’impossibilité d’acheter ou de trouver des graines.
Partout, il encourage les agriculteurs à se regrouper pour s’échanger des semences et développer des variétés adaptées localement. « Avant, la semence ne se vendait pas. Ça s’échangeait, ou se donnait. Lorsqu’on fait ses semences, on en a toujours trop », rappelle-t-il. Malgré tout, Yanick Loubet est plutôt confiant dans l’avenir. « Beaucoup de jeunes qui s’installent viennent me voir pour suivre des formations ». Les légumes qui ont dû goût n’ont pas dit leur dernier mot.
Sonia
Quand les mots déforment la réalité
Comme de nombreux domaines, celui des semences n’échappe pas à la novlangue. La distorsion du sens des mots et l’usage d’expressions alambiquées participent à l'acceptation d'un système néfaste, déconnecté de la réalité.
La notion de variété en est un exemple criant. Qu’est-ce qu’une variété ? Pour Yannick Loubet, il s’agit d’« une population qui développe des caractères assez différents pour qu’on puisse la différencier du reste de l’espèce, et qui ne se reproduit que par semences ». Une définition proche de celle des botanistes du début du XIXème siècle, pour qui une variété correspondait à un « changement quelconque, mais jamais constant, dans l’état ordinaire d’une Espèce ». Mais depuis les années 50, la définition a peu à peu changé jusqu’à devenir celle adoptée par l’UPOV (Union internationale pour la protection des obtentions végétales) : une variété doit être stable et homogène génétiquement. Ce sont même deux conditions impératives pour inscrire une variété au catalogue officiel. Résultat, ce sont principalement des clones (OGM ou hybrides) qui sont répertoriés comme variétés, alors qu’il s’agit en réalité de « cultivars », des objets nés de l’action de l’homme et qui n’existeraient pas dans la nature. Quant aux réelles variétés, qui présentent de la variété en leur sein, elles sont devenues des « variétés de populations »… « Ils ne disent plus que ce qu’on a sont des variétés. Les mots ne correspondent plus à la réalité », dénonce Yanick Loubet.
Autre exemple de déformation des mots, donc des concepts, le terme « privilège du fermier ». Cette expression, créée par l’UPOV en 1961, correspondait à la possibilité pour le paysan de ressemer des graines qu’il avait conservées de sa précédente récolte sans avoir à payer de royalties à l’obtenteur de la variété. En bref, il était autorisé à réutiliser gratuitement des graines qu’il avait déjà achetées l’année précédente. Avec cette appellation, l’UPOV a transformé un droit qui semblait évident en « privilège ». Une dérive linguistique qui n’a rien d’anodin : il est plus facile d’abolir un privilège qu’un droit. C’est d’ailleurs chose faite puisque depuis 1991, les pays sont libres de conserver ou non le « privilège du fermier ». En France, il a été supprimé.
Cet article est tiré du dossier "Menaces sur les semences paysannes", paru dans le magazine papier numéro 2 qui est sorti de presse début décembre. Pour le commander c'est ici,
Sommaire de notre dossier :
Introduction : Les paysans dépossédés de leurs graines
Législation : Une réglementation floue
Le GNIS, un groupement tout puissant
Brevets et COV, deux outils d'appropriation du vivant
Potagères : Faire ses semences, un savoir oublié des paysans
Sur les traces de l'oignon de Tarassac
Les Croqueurs de Carottes : le goût retrouvé
Céréales : L'INRA conserve des grains et invente les blés de demain
Des céréales en montagne
En pratique : Faites vos graines
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Commentaires
Et donc les gens qui
Que monsant o et ces
Oui c'est vrai en France il y
je ne pense pas , que de