Tous les âges à tous les étages

Contre la solitude, pour éviter la maison de retraite, rester chez soi plus longtemps ou par choix de vie, de nombreuses personnes âgées sont en quête de nouvelles façons d'habiter et de cohabiter.

« Il ne peut pas y avoir de politique gérontologique sans politique de l’habitat », assène Claude Fagès, militant de l’association Alertes38 qui défend « la qualité de vie des personnes âgées ». Pourtant, aujourd’hui, « il manque des structures pouvant accueillir des personnes qui avancent en âge, encore autonomes, mais dont un bon nombre a perdu les capacités de profiter et d’entretenir des habitations devenues trop grandes et inadaptées à des handicaps physiques naissants », note l’association dans son rapport Vieillir et habiter autrement (novembre 2013). Pour Claude Fagès, il s’agit de « proposer un éventail de solutions à nos aînés, afin que chacun, quelque soit sa situation et ses envies, trouve le bon logement au bon moment ».  

Pour certains, cela passe par la colocation intergénérationnelle. Un étudiant ou un jeune travailleur cohabite avec une personne âgée isolée et, en échange d’un loyer réduit, assure une présence rassurante. Dans l’agglomération iséroise, environ 300 contrats de ce type ont été signés en 4 ans. « Mais les personnes âgées sont parfois réticentes à accueillir des inconnus chez elles, et les demandent émanent plutôt des jeunes », souligne Jacqueline Chapuis, présidente d’Alertes38.

Alors pour avoir son chez-soi sans être seul, d’autres se tournent vers les habitats groupés. Il en existe de plus en plus, qui prennent différentes formes. Depuis quelques années, le béguinage revient ainsi à la mode. S’inspirant des béguines du Moyen-âge, des femmes pieuses vivant dans de petites maisons autour d’une église ou d’un cloître, il s’est développé en Belgique et dans le Nord de la France. Aujourd’hui, il n’y a plus systématiquement d’aspect religieux, mais le concept a conservé les maisonnettes individuelles les unes à côté des autres, un ou plusieurs lieux collectifs au centre de ce petit village, et une personne extérieure en charge d’aider les résidents en cas de besoin. L’entrée se fait souvent sur critères sociaux, mais des sociétés privées s’emparent du principe pour créer de nouveaux béguinages.

Les habitats autogérés plébiscités

Dans la catégorie des habitats individuels destinés aux personnes âgées, on trouve aussi plusieurs expériences d’appartements regroupés à services partagés. A Grenoble, Les Vignes en sont un bon exemple. Ce lieu, ouvert sur la vie de quartie, propose 14 logements, essentiellement des T2 car « ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on doit vivre dans 25m² », souligne Claude Fagès, ainsi qu’un appartement qui abrite une auxiliaire de vie présente 24h/24. Les bénéficiaires, leurs familles et les professionnels médico-sociaux du domicile sont impliqués dans la marche du dispositif. Contrairement au béguinage ou aux établissements tels que les foyers logements, cette solution permet de rester dans le même logement lorsqu’on perd en autonomie.

Et puis dans la grande famille des habitats groupés, on trouve les habitats autogérés et/ou coopératifs, construits ou aménagés par les futurs habitants. Le plus emblématique est la Maison des Babayagas à Montreuil. Malgré les difficultés qu’il connaît, ce lieu a ouvert la porte à de nombreux projets. Audrey Golluccio travaille pour Habicoop, une association qui fait la promotion des coopératives d’habitants (voir encadré) et accompagne les porteurs de projets. Elle constate l’engouement pour cette formule : « depuis deux ans, les demandes ont beaucoup augmenté ». Si l’habitat groupé est loin de concerner uniquement des personnes âgées, elles en sont souvent à l’origine.

Intergénérationnel ou non

C’est par exemple le cas de Marie-Ange, impliquée dans un projet vers Aubenas (Ardèche) et porte-parole du groupe. « Tout a commencé avec des réflexions entre amis sur notre propre vieillesse : Qu’est-ce que ça veut dire être vieux ? De quoi avons-nous peur ? Cela pose des questions d’utilité, de citoyenneté. Le risque principal est celui de la dépendance, synonyme de maison de retraite. L’habitat groupé pouvait répondre à plusieurs de ces questions. Sur l’utilité, en retrouvant de la grand-parentalité même si nos propres petits-enfants sont loin, pour contrer la solitude et rester à domicile ». Cette ancienne infirmière s’est ainsi lancée dans un projet d’habitat groupé  intergénérationnel, « pour éviter le ghetto de vieux ». 

Les membres du groupe de départ ont tous entre 55 et 70 ans. Ils ont passé des annonces dans la presse locale pour trouver des familles et des personnes handicapées prêtes à rejoindre le projet. Aujourd’hui, ils ont une piste sérieuse avec une ancienne maison de retraite qu’ils se verraient bien adapter pour vivre leur rêve. « C’est dans un village, il y a de grandes salles communes, un grand terrain. L’accès est facile, ce n’est pas très loin d’Aubenas ». Une famille s’est déjà engagée, mais « les familles partantes sont plus difficiles à trouver que les personnes âgées. Avec des personnes de notre âge, on pourrait remplir tout de suite », souligne-t-elle.

A Die (dans la Drôme), un habitat participatif intergénérationnel a déjà vu le jour : c’est l’éco-hameau Habiterre. Depuis trois ans, une trentaine de personnes de 1 à 68 ans occupent 11 appartements répartis dans 5 grandes maisons éco-construites. Martine a 68 ans, et a rejoint ce lieu il y a quelques mois. « J’en avais marre de vivre seule. J’habitais une super jolie petite maison, mais je me trouvais de plus en plus isolée. Ici, je participe à la vie d’un projet avec des personnes choisies et de tous les âges, dont des enfants qui passent me dire bonjour, que je peux aller chercher à l’école si besoin, avec lesquels on organise des goûters ou des moments de jeux ». Pour elle, vivre avec des personnes de différentes générations permet de « rester dans l’action, ne pas se replier sur soi, se sentir utile et penser à l’avenir ». Désormais, elle s’est inscrite à l’école fréquentée par les enfants d’Habiterre comme personne ressource pour aller les chercher, elle les emmène parfois se promener en forêt et organise avec d’autres habitants de grands goûters pour tous régulièrement.

S'adapter collectivement au vieillissement

Si la présence d’enfants est parfois désirée par les personnes âgées, certains préfèrent habiter entre vieux. A Vaulx-en-Velin, en banlieue Lyonnaise, l’association Chamarel s’est lancée en 2010 dans cette grande aventure avec la volonté de créer un « lieu de vie intergénérationnel pour les 3ème, 4ème et 5ème âge ». Pour les amis qui ont monté ce projet, « le choix d’être entre vieux a été fondateur pour le groupe. On souhaite s’adapter collectivement au vieillissement », explique Michelle. Quatre ans plus tard, et avec l’aide d’Habicoop, le projet a pris forme. Le terrain est acheté, la coopérative d’habitants est créée, le permis de construire est déposé et les travaux devraient commencer d’ici quelques mois. Il y aura 16 logements, essentiellement des T2, pour accueillir une vingtaine de personnes de 60 ans et plus. Les loyers sont fixés à 12€ le mètre carré, et à ce prix là, il y a aussi l’accès aux espaces communs : un atelier, une salle polyvalente avec cuisine, trois chambres d’amis…. Le projet coûte 2.5 millions d’euros et à obtenu l’aide du Conseil régional. « Vu nos âges, trouver une banque qui nous prêterait de l’argent sur 50 ans c’est impossible. Mais là, c’est la coopérative qui emprunte », souligne Patrick, un futur habitant de cet immeuble qui sera construit en béton, bois et paille, et dans lequel il reste encore quelques appartements à pourvoir.

Tous ces projets sont longs à monter, et demandent beaucoup d’énergie. Il faut constituer un groupe, trouver des financements, un lieu. Pour celles et ceux qui comptent finir leurs jours dans l’habitat groupé qu’ils auront contribué à créer, il est donc nécessaire de s’y prendre tôt. « Le point positif, c’est que la génération qui arrive aujourd'hui à la retraite a conscience qu’elle doit penser à son habitat dès à présent. Souvent, ce sont des personnes qui sont confrontées à des difficultés pour trouver un logement pour leurs parents, et qui ne veulent pas imposer la même chose à leurs enfants », souligne Jacqueline Chapuis.

 Texte : Sonia

Dessin : Les Dem's


Cet article a été publié dans Lutopik n°6 et fait partie de notre dossier intitulé "Place aux vieux !"

Sommaire du dossier :

« Les vieux pourraient rendre la société plus douce et plus équilibrée » Entretien avec Serge Guérin

 Internet : s'y mettre ou ne pas s'y mettre ? Immersion dans un cours d'informatique

 A l'ombre des Ehpad Reportage en maison de retraite

 Tous les âges à tous les étages Enquête sur les nouveaux habitats coopératifs

 Les Babayagas : une tentative de collectif

 Les seniors pris pour cible  Enquête sur la silver économie

Comme sur des roulettes Rencontre avec un Géo Trouvetou nonagénaire

 Aidants pour dépendants Témoignages des proches de malades d'Alzheimer

Pour une société « sans miroir assassin » Entretien avec Suzanne Weber

 La mort douce et choisie : un droit à conquérir. Enquête sur l'euthanasie

Sonia