Les paysans dépossédés de leurs graines

Web_Une_Dossier.gifLes variétés paysannes, sélectionnées par les agriculteurs depuis la nuit des temps, sont aujourd’hui menacées d’extinction. En un siècle, 75 % de la biodiversité cultivée a disparu et les paysans ont perdu leur autonomie semencière. Cette situation est le résultat d'un siècle de politique agricole en faveur de l'agriculture intensive.

Jusqu’à récemment, et depuis 10.000 ans, les semences étaient produites dans les champs des paysans. En sélectionnant les plus belles plantes ou celles qui correspondaient le mieux à l’usage qu’ils voulaient en faire, les agriculteurs ont créé et développé au fil des siècles des milliers de variétés. Une biodiversité qui permettait de limiter les pertes en cas de maladies ou de rigueurs climatiques et de disposer de plantes adaptées aux territoires sur lesquels elles étaient cultivées. Les semences n’étaient pas une marchandise, elles s’échangeaient. Mais depuis un siècle, 75 % des variétés cultivées ont disparu, estime la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture). On trouve partout les mêmes tomates, les mêmes blés et les mêmes pommes de terre aux goûts, aux formes et aux calibres uniformisés. Parce que leur culture a été arrêtée, des milliers de légumes ont disparu. 

WEB_Dossier.gifPlusieurs facteurs sont responsables de l’érosion de la biodiversité, qui coïncide avec le début de l’industrialisation de l’agriculture. Au XIXème siècle, Vilmorin est la première maison semencière à voir le jour. D’autres naissent les années qui suivent. Pour la première fois, les paysans peuvent s’abstenir de reproduire leurs semences. En 1932, l’État créé le catalogue français des espèces et variétés cultivées, qui permet de les recenser et d’en définir précisément leurs caractéristiques. Dans un premier temps, l’inscription des variétés commercialisées y est facultative. En 1942, le gouvernement de Pétain crée le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS), chargé d’organiser la production des graines et de représenter les entreprises du secteur. à ces deux fonctions s’ajoutera plus tard celle de contrôle des semences vendues, faisant de cet organisme un outil puissant au service des gros semenciers.

Après la Seconde Guerre mondiale, la France est en situation de pénurie alimentaire, tout s’accélère. L’INRA est créé en 1946 avec la mission d’augmenter la productivité agricole pour nourrir la population française. L’institut sélectionne des variétés à haut rendement compatibles avec l'utilisation d'engrais chimiques et de pesticides. C’est le début de l’agriculture intensive et de ses spécialisations régionales : les porcs en Bretagne, les céréales dans la Beauce, les fruits et légumes en Provence, etc. Les années 60 sont celles du basculement général vers une agriculture chimique, subventionnée et ultra-contrôlée. En 1960, l’inscription au catalogue devient une condition obligatoire pour toute variété commercialisée. Pour être certifiées, les plantes doivent répondre aux critères DHS, pour Distinction (la variété est nouvelle), Homogénéité (toutes les plantes sont identiques) et Stabilité (d’une génération à l’autre, les caractéristiques restent les mêmes). Cette décision signe l'arrêt de mort de nombreuses variétés paysannes dont la force est d’évoluer génération après génération pour s’adapter à leur environnement. Rapidement, les agriculteurs cessent de produire leurs propres variétés.

Deux nouvelles armes contre les semences paysannes : les COV et les hybrides F1

En 1961, cinq pays, dont la France, créent l’Union Pour l’Obtention Végétale (UPOV) qui instaure le système de propriété intellectuelle sur les semences en créant le Certificat d’Obtention Végétale (COV), basé sur les mêmes critères DHS que le catalogue. L’UPOV prend rapidement de l’ampleur et sa reconnaissance devient l’une des conditions pour adhérer à l'OMC. Les semenciers qui protègent une variété par un COV ont l’exclusivité sur sa commercialisation durant une vingtaine d’années. En 1962, c'est la naissance de la Politique agricole commune (PAC), qui vise à organiser une agriculture productiviste à l’échelle européenne. Elle impose une baisse des prix des produits en contrepartie des subventions versées aux agriculteurs. Pour certaines espèces, les aides deviennent même subordonnées à l’achat de graines certifiées. Les rendements montent en flèche tandis que le nombre d’exploitations agricoles commence à dégringoler. La France devient autonome sur le plan alimentaire et commence à exporter au début des années 70.

WEB_tomategautier.gifLa fin des années 60 voit aussi arriver en France les premières variétés hybrides F1. Réalisées par croisement de deux lignées pures, ces variétés offrent un meilleur rendement que les autres, mais seulement la première année. Si elles ne sont pas stériles à proprement parler, ressemer des variétés F1 ne sert à rien. Dès la seconde génération, elles dégénèrent et ne sont plus guère intéressantes. Le Réseau Semences Paysannes s’est amusé à comparer les catalogues de 1979 et de 2003. Pour les carottes, le catalogue de 1979 proposait 41 variétés non hybrides et 6 hybrides. 24 ans plus tard, il propose 12 non hybrides et 66 hybrides. En à peine 20 ans, les variétés hybrides deviennent la norme, sans trop de controverse. Elles marquent pourtant un tournant important dans la culture paysanne. Les agriculteurs sont maintenant totalement dépendants des semenciers, à qui ils sont obligés de racheter des graines chaque année. Aujourd’hui, même dans les catalogues d’agriculture biologique, les F1 prédominent largement.

Dans les années 80/90, les États cèdent le pas aux firmes biotechnologiques qui s’emparent de l’alimentation mondiale en imposant leurs packs « semences /produits phytosanitaires /droits de propriété intellectuelle ». Nombre de petits semenciers disparaissent. En 2013, moins de 10 firmes possèdent environ 70 % du marché mondial des semences. En 50 ans les pratiques agricoles intensives ont ainsi bouleversé le métier de paysan. Interdiction des variétés non certifiées, mainmise de quelques multinationales sur le commerce des semences, généralisation des hybrides F1… le paysan s’est fait confisquer la possibilité de faire ses propres semences. Aujourd’hui, sans la volonté de quelques-uns d’entre eux, les variétés paysannes auraient disparu.


La biodiversité menacée

La biodiversité des espèces cultivées repose sur trois piliers : la diversité génétique, la diversité des terroirs et la diversité des pratiques culturales. Ces trois facteurs ont permis depuis la nuit des temps d’obtenir des milliers de variétés, adaptées à chaque lieu, mode de culture et utilisation finale du produit. Ce sont eux les garants de l’évolution du vivant, conditions sine qua non de la vie sur terre.
Or ce processus est en panne dans le système industriel. La diversité génétique a fait place aux hybrides et aux clones, les laboratoires ont remplacé les champs pour la sélection et le mode de culture est partout le même : amender les sols et inonder de produits phytosanitaires chaque (mono)culture pour contrer le fait que les plantes ne sont plus adaptées au terrain et que leur homogénéité génétique les rend extrêmement vulnérables à la moindre maladie. Avec ce schéma, les industriels ne peuvent que détruire la biodiversité. Ils n’ont pas les moyens de faire ce que font des milliers de paysans dans leurs champs, sélectionner les variétés les plus adaptées leur écosystème. 


Cet article est l'introduction du dossier que nous consacrons aux semences paysannes, à paraître dans le magazine papier numéro 2 qui sortira de presse début décembre. Pour le commander, c'est ici.

Sommaire de notre dossier :

Législation :  Une réglementation floue

                            Le GNIS, un groupement tout puissant

                            Brevets et COV, deux outils d'appropriation du vivant

Potagères : Faire ses semences, un savoir oublié des paysans

                         Sur les traces de l'oignon de Tarassac

                         Les Croqueurs de Carottes : le goût retrouvé

Céréales : L'INRA conserve des grains et invente les blés de demain

                       Des céréales en montagne

                       Blés en mélange

En pratique : Faites vos graines

 


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Commentaires

Ben...o k mais quand on cultive son jardin soi-même...tout ça on le sait!! A quand un article réellement" novateur"...? Mais quel âge avez-vous donc?Bien jeunots sans doute?! Vous semblez descendre d' une... drôle de planète!...

Etant maraîcher, je peux vous dire qu'un grand nombre de personnes ne sont que très peu renseignés sur ce sujet, pourtant très important... De plus très peu de médias nous renseignent là dessus. Il est grand temps que tout cela soit dévoilé au grand public, et même aux gens qui ne jardinent pas!

La privatisation du vivant de surcroit ne " mobilise pas les masses" hélas...Ce sujet était déjà débattu il y a 40 ans...

Reprenons en main la question des semences, échangeons nos graines à tous, et nos savoir-faire ! Supers articles, merci lutopik !